Tout aurait commencé par un tas de patates avec Giuseppe Penone, en 1977.   Giuseppe Penone ; Patate, 1977  Matériaux pauvres voués au dépérissement, leur mise en tas les retire de la consommation, du marché des biens comme de la circulation du sens. Le tas confine l'objet au déchet. Seul son emplacement conserve une signification. Ainsi, lorsque Rodney Graham déplacera stratégiquement un tas de patates semblable contre la porte de son atelier en obstruant son accès, on comprendra qu'il ne faut pas déranger l'artiste : Potatoes Blocking my Studio Door, 2006, photographie. Rodney Graham ; Patate Les patates sont jugées grossières, voire vulgaires, à tout le moins « terre à terre ». Ce qui se vérifie lorsque l’artiste, assis décontracté sur une chaise basse, s'en empare dans un tas disposé à sa portée comme des projectiles, les jetant l'une après l'autre contre un immense gong bouddhiste placé à quelques mètres de lui : Lobbing Potatoes at a Gong, 1969. Rodney Graham ; PatateIl manque parfois sa cible, se concentre alors profondément, puis recommence son tir. Une fois touché, la vibration assourdissante du gong sonne autoritairement le rappel à la spiritualité. De cette performance, il nous reste des images et de la vodka. En 2022, Richard T. Walker installe à son tour une cymbale au bord de la mer : Anywhere, Somewhere, vidéo, 2022. Rodney Graham ; Patate Le vent la fait danser. La beauté du paysage invite à la contemplation. De derrière la caméra, l'artiste lance de lourdes pierres visant la cymbale, rompant ainsi brutalement le calme méditatif de la plage. Le retentissement vient tirer le spectateur de son absorbement. Mais s'il interrompt sa torpeur, c'est pour aussitôt l'y replonger, comme un bruit dérangeant aussitôt intégré dans le rêve du dormeur ; tant le son, comme le reflet de la cymbale, colle au concert remuant des vagues, offrant une composition disharmonieuse mais quasiment naturelle de musique concrète.

Damien Guggenheim