En 2013, au moment où a émergé l’idée de plateforme “art et biologie marine” (Roscosmoe.org) avec le laboratoire Modèles Marins Multicellulaires de la Station Biologique de Roscoff, le travail de Xavier Bailly sur « l’animalgue » Symsagittifera roscoffensis et le fait que la biologiste de l’évolution Lynn Margulis mentionne cette espèce à de nombreuses reprises pour évoquer sa théorie de la symbiose et l’idée d’un Homo Photosyntheticus, furent pour moi source d’une grande inspiration. Aussi, quand j’ai eu écho au même moment du projet artistique Humalga: Towards the Human Spore des slovènes Špela Petrič et Robertina Šebjanič, j’ai été très intrigué par les correspondances. Je peux même dire qu’elles ont grandement inspiré cette plateforme et de ce fait, en 2015, il semblait évident que les deux artistes seraient les premières invitées en résidence à la Station Biologique de Roscoff. L’année suivante, elles nageaient dans le sillage de Jean Painlevé et Geneviève Hamon à la Station Biologique de Roscoff. Nous poursuivons encore la collaboration aujourd’hui.
Prise de vue et entretien réalisés par Maya Minder au festival Métaboles 2021, Ateliers Jeanne Barret, Marseille. Montage : Sandra Bühler. Traduction : Ewen Chardronnet. Sous-titrage : David Bernagout
Le projet Humalga propose une évolution construite et alternative de l’espèce humaine au croisement de l’humain et de l’algue, un destin évolutif vers l’humalgue. Les artistes présentent des installations d’art biologique, associées à des publications, symposiums ou contextes théoriques de spéculation sur une trans-espèce créée biotechnologiquement par l’hybridation et la modification génétique de l’humain et de l’algue de telle manière que les deux organismes se présentent comme deux entités vivantes distinctes qui vont alterner xénogénétiquement d’une génération sexuelle (humaine) à une génération asexuelle (algale). Comme le précise Šebjanič sur son site internet, Humalga « explore notamment l’instinct de survie de l’homme en tant qu’espèce, évalue le projet dans le contexte de l’anxiété écologique actuelle, examine les questions bioéthiques impliquées et envisage des scénarios futurs impliquant l’humalgue »
Au cœur de la recherche artistique, les artistes proposent des « wet symposiums » publics animés par l’engagement d’experts/chercheurs qui contribuent ainsi à la formation même de l’œuvre d’art. Ce qui m’a particulièrement intéressé est que dans le symposium (dont un que j’ai eu le plaisir d’organiser au festival Accès(s) à Pau en 2013), les artistes proposent un champ transdisciplinaire et transitoire, la terRabiologie (terra – Terre, tera (grec) – monstre), qui examine la psychologie, la physiologie et la biologie de l’humalgue trans-espèce. Comme argumente Petrič, « en tant que projection composite, l’humalgue est un outil heuristique qui nous éloigne de l’avenir normal, continu, anticipé, et qui, ce faisant, nous permet non seulement d’observer les paradigmes et les contextes qui définissent l’humanité, mais aussi d’appliquer un nouveau discours, la terRabiologie. »
En 2015, pour prolonger cela j’invitais d’ailleurs Spela Petrič à développer ce concept dans La Planète Laboratoire 5 : Capitalisme Alien. Pour elle la TerRabiologie « dégage une perspective ontologique sur la vie sur Terre, et observe la position de l’homme dans le système terraformatif et comprend la culture humaine comme un épiphénomène d’une espèce consciente d’elle-même. Il s’agit d’une tentative de former un point de vue théorique extérieur à la Terre comme biosphère. Le préfixe TerRa peut être lu comme terra, qui appartient à la Terre, ou comme tera, dérivé de teras, le mot grec ancien pour monstre. Le mot latin terra se réfère au fait que le discours est centré sur l’ontologie de la vie sur Terre. Tera implique la peur de l’étrangeté (symbolisée par les monstres), un challenge à relever lorsque l’on s’engage dans la transition d’une approche essentialiste hégémonique de l’espèce vers un concept de fluidité et de multiplicité au sein des catégories, qui deviennent des attributions heuristiques plutôt que des descriptions de la réalité. La TerRabiologie questionne dès lors l’inclination humaine en relation avec des formes fondamentalement différentes d’organisation, qui peuvent produire des systèmes fonctionnels ayant des propriétés similaires à la vie. »
Remettant en question les limites des connaissances scientifiques actuelles, Humalga nous incite à considérer les visions contemporaines du corps et à repenser l’impact de telles propositions spéculatives sur l’art et la société.
Ewen Chardronnet