Deviendrons-nous des « petits hommes verts » si nous établissons des colonies humaines sur Mars ? Cela pourrait être bien possible, dans la mesure où les micro-algues, et en particulier la chlorelle et la spiruline, sont des candidates majeures pour accompagner les humains dans l’exploration spatiale. Leur culture prend peu de place, est stable et relativement simple, et permet de renouveler l’air de l’habitat par la photosynthèse et d’offrir un complément alimentaire extrêmement riche en nutriments. Leur consommation prolongée pourrait-elle entrainer des évolutions de notre microbiote, et qui sait, de notre physiologie ?

En août 1987, les professeurs Claude Chipaux, Daniel Kaplan et associés, envoyaient avec la première charge utile étrangère embarquée sur une fusée Longue Marche chinoise une expérience sur les micro-algues pour analyser les problèmes biologiques et techniques de production de nourriture et de régénération de l’air dans des conditions de microgravité. De cette expérience fondatrice naissait dans les années qui suivent le programme européen MELiSSA, Micro-Ecological Life Support System Alternative. Initiative de l’Agence Spatiale Européenne (ESA), MELiSSA se donne pour objectif de développer les technologies d’un futur système support-vie régénératif pour les missions spatiales humaines de longue durée. Visant à atteindre le plus haut degré d’autonomie, l’intérêt est donc de produire de la nourriture, de l’eau et de l’oxygène à partir des déchets de la mission et MELiSSA vise idéalement à créer un écosystème circulaire et artificiellement fermé. MELiSSA, c’est aujourd’hui 15 partenaires en Belgique, Espagne, France, Suisse, Italie, Pays-Bas et Canada, et au-delà, près de 50 organisations (universités, centres de recherche, industriels et entreprises) qui participent au projet.

Dirigé depuis 1990 par le professeur Christophe Lasseur, MELiSSA a mené en 2017 (soit trente ans après l’expérience chinoise) une expérience à bord de la Station Spatiale Internationale, la mission ArtemISS – abréviation de « Arthrospira gene Expression and mathematical modelling on cultures grown in the International Space Station » (expression génétique et modélisation mathématique d’Arthrospira cultivées dans la Station Spatiale Internationale) – impliquant un photobioréacteur qui permet de déterminer comment la microgravité et les radiations spatiales influent sur le taux de croissance de l’Arthrospira, ou Limnospira indica, plus connue sous le nom de spiruline. Fort du succès de cette mission (la spiruline se développe comme sur Terre), une expérimentation avec un équipage de rats qui pourront respirer grâce à l’oxygène fourni par des bioréacteurs de spiruline devraient également rejoindre l’ISS plus tard dans la décennie.

Nous voulions en savoir plus et sommes allés en novembre 2021 à l’Université Autonome de Barcelone à la rencontre du Dr. Francesc Gòdia, directeur de l’usine test du programme MELiSSA, puis au European Space Research and Technology Centre (ESTEC) de l’Agence Spatiale Européenne à Noordwijk aux Pays-Bas pour rencontrer Christophe Lasseur et sa collègue, la Dr. Sandra Ortega Ugalde.

Notre objectif : leur demander d’expliquer plus en détails le choix de la spiruline, et comment un régime de longue durée à base de spiruline pourrait changer le microbiote humain, voire notre physiologie elle-même. Et les amener sur le terrain spéculatif de l’Homo Photosyntheticus… Ils développent leurs visions dans les entretiens ci-dessous.

Ewen Chardronnet et Maya Minder

Le Dr. Francesc Gòdia est chimiste et directeur de l’usine pilote MELiSSA, une installation conjointe de l’Université autonome de Barcelone et de l’ESA. Le Dr. Christophe Lasseur est coordinateur de la Recherche & Développement sur les systèmes de contrôle de l’environnement et de support-vie et responsable du projet MELiSSA pour l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et Dr. Sandra Ortega Ugalde est ingénieur en systèmes de contrôle de l’environnement et de support-vie au sein de HE Space Operations pour l’ESA.
Crédits : Entretiens réalisés par Ewen Chardronnet. Prise de vue et montage : Sandra Bühler. Mixage : Quentin Aurat.
Sous-titrage : David Bernagout. Cette série d’entretiens fait partie du projet de recherche artistique « Homophotosyntheticus » de Ewen Chardronnet et Maya Minder.