Antérieurement à l’invasion, Xico était une île située au milieu du lac Chalco, dans l’actuel État de Mexico.
« Le musée communautaire de la vallée de Xico est un projet dû à une initiative locale qui vise à préserver, connaître, étudier, présenter et conserver le patrimoine culturel et écologique d’un groupe humain. »
Le musée communautaire se préoccupe du territoire, des « plus qu’humains », de la culture indigène et de la gestion durable du cycle de l’eau. Dans un pays colonial, c’est-à-dire comme dans la totalité des pays des deux Amériques, il en résulte au quotidien une répression active de l’État et de la société non autochtone.
Le musée s’est donné pour priorités de :
Réaliser un travail d’intérêt général de soutien à des projets autonomes d’initiative locale ; Participer à des mouvements nationaux ;
S’engager dans la résolution de problèmes sociaux que rencontre la population locale ; Réhabiliter l’environnement et militer en faveur de la remise en eau du lac ; Restaurer une mémoire historique.
Au début du XVe siècle, dans leurs chinampas (jardins insulaires flottants sur le lac Chalco et le lac Xochimilco voisin), les populations autochtones récoltaient quelque 20 millions de tonnes de maïs par an. La récolte était transportée jusqu’à Tenochitlan (l’actuelle ville de Mexico), qui était alors la capitale des Mexicas (Aztèques) et comptait 200 000 habitants (à comparer à la population de Paris à la même époque : 100 000 habitants). C’était avant l’invasion qui allait entraîner du vivant du conquistador Hernan Cortés, l’envahisseur, l’anéantissement de 90 % de la population. Quatre cents ans plus tard, à la veille de la révolution mexicaine de 1910, les terres appartenaient pour 99 % à des non-autochtones.
Le lac Chalco appartenait à un réseau hydrographique composé de cinq lacs reliés entre eux et formant un seul système. Le niveau de l’eau était géré de manière à prévenir les inondations, mais également à favoriser les pratiques agricoles même pendant la saison sèche. La destruction systématique de ce système hydrographique a débuté immédiatement après la conquête du Mexique, les cinq lacs ayant été progressivement vidés de leur eau.
Au début du XXe siècle, ce qui restait du lac Chalco est entièrement drainé par un colon espagnol originaire de Colombres dans les Asturies, Espagne, qui avait acheté l’île, mais non le lac qui appartenait à la commune. Entraînant de graves dommages pour 23 villes ou localités, voire leur destruction, et anéantissant la base économique des agriculteurs de la région, le drainage eut des conséquences préjudiciables durables pour les populations, pour la terre et l’eau, pour les humains et les plus qu’humains.
Des militaires transportés par deux camions sont arrivés peu après l’inauguration du musée communautaire en 1996 et ont menacé de le fermer. L’Amérique coloniale considère aujourd’hui encore que la culture indigène est une activité dangereuse. Dans les deux Amériques, la post-colonisation est inexistante.
L’évacuation de l’eau de l’aquifère a provoqué l’affaissement de toute la région. Le lit du lac asséché s’est lui aussi affaissé, formant une dépression dans laquelle se sont accumulées les eaux pluviales. Un nouveau lac s’est constitué à la longue, désormais appelé Tláhuac-Xico.
Sans la moindre subvention publique, mais sous la menace et l’intimidation, le musée communautaire a été en mesure de sauver de l’oubli ou de la destruction près de 5 000 artefacts mésoaméricains antérieurs à l’invasion, aucune autre institution municipale n’ayant manifesté un intérêt pour protéger ce patrimoine culturel.
Reçus en don par le musée, ces artefacts ont été mis au jour dans les environs par des habitants de la région. Ces derniers ont résisté jusqu’à aujourd’hui à l’éradication du patrimoine culturel et social des peuples indigènes, sans lequel nous ne serions qu’un pitoyable amant de l’Europe, comme l’a dit Jimmie Durham.
Le musée tel qu’il était en 2009, à l’époque de ma rencontre avec Genaro Amaro Altamirano, chroniqueur de Xico et cofondateur du musée.
J’ai été invitée par la dOCUMENTA (13) à présenter une œuvre inédite : l’installation intitulée The Return of a Lake s’inspirait de l’esthétique du musée communautaire ; entrant dans l’espace de l’installation, le visiteur était accueilli par une maquette du lac qui lui permettait de se situer dans le contexte de son environnement.
Les habitants de la localité appelaient de leurs vœux la publication d’un livre retraçant leur histoire. Constituant également un élément de l’installation Return of a Lake, l’ouvrage est accompagné d’une édition spéciale en cuir, or et papier d’amate. Un exemplaire a été remis en main propre au directeur et fondateur du musée de l’émigration de Colombres, dans les Asturies en Espagne, qui commémore aujourd’hui encore l’écocide du lac Chalco de même que le colonisateur espagnol originaire de Colombres, responsable de cette catastrophe écologique.
Les bénéfices retirés de la vente de cette publication sont destinés à soutenir le musée communautaire.
Les forces de sécurité viennent régulièrement inquiéter Genaro Amaro Altamirano. Ce dernier représente la plus grande des menaces aux yeux de l’administration locale de cette région démunie où règne la violence, en raison de son action en faveur de la culture indigène et de la gestion durable du cycle de l’eau. Le 5 août 2010, vingt-quatre policiers équipés de gilets pare-balles et lourdement armés sont venus l’arrêter dans le musée. Dans les deux Amériques, la colonisation a toujours cours, au quotidien.
Douze policiers interdisent à la population locale d’entrer dans son musée ; ils l’empêchent d’avoir accès à son art et à sa culture, alors que ce sont les habitants de la région qui ont mis au jour les artefacts de la collection du musée. La jeunesse de la commune se voit ainsi privée d’un lieu de rencontre, car elle venait également au musée pour échanger des idées et prendre part à différentes pratiques artistiques.
Lors du premier confinement, j’ai appris à travailler la céramique et étudié parallèlement les œuvres de la collection du musée. Ensuite, j’ai entrepris de recréer des œuvres d’art, celles-là même qui ne sont plus accessibles à la population locale.
Son del Pueblo/Of the people est l’aboutissement de ce travail auquel toutes les personnes qui lisent ces lignes sont invitées à participer si elles le souhaitent.
Of The People Participant·e·s
L’internaute est invité·e à réaliser une poterie (il n’est pas nécessaire qu’elle soit cuite) en s’inspirant des objets du musée. On trouve sur mon site web un document au format pdf reproduisant des images de la collection du musée : http://www.mariatherezaalves.org/assets/files/son-del_pueblo_25_webversion.pdf
Vous pourrez organiser le cas échéant un atelier avec quelques ami·e·s. Une fois la poterie achevée, photographiez-la et envoyez une copie avec votre nom et celui de la ville où vous résidez, à l’adresse de mon atelier (studio@mariatherezaalves.org) ainsi qu’au musée (museocomunitariodexico@gmail.com). La photographie sera publiée sur le site web du musée. Il sera peut-être possible un jour de regrouper toutes ces poteries pour les présenter dans un musée communautaire de la vallée de Xico temporaire, itinérant dans différents pays.
Ce travail ambitionne de rendre visible aux yeux des autorités municipales l’importance que revêtent le musée et sa collection pour la population locale et le grand public. C’est une tentative de convaincre les autorités municipales de rendre à la population son art.
Les pratiques coloniales auxquelles se livrent les colonisateurs constituent une réalité quotidienne pour les populations indigènes dont la résistance ne faiblit pas. Dans les deux Amériques, le colonialisme fait obstacle à la possibilité d’un avenir viable et écologiquement durable au bénéfice de l’ensemble de la société.
Maria Thereza Alves, 2021
Traduction de l’anglais : Christian-Martin Diebold.