À l’occasion de l’ouverture de l’UrsuLab, biolab du Centre d’art contemporain de l’Antre Peaux à Bourges, en octobre 2021, nous avons interviewé le collectif espagnol Quimera Rosa sur leur projet Trans*Plant, qui approche des territoires d’investigation similaires aux nôtres.
Trans*Plant est un projet transdisciplinaire, initié par Quimera Rosa en 2016, qui utilise des systèmes vivants et est basé sur l’auto-expérimentation : c’est un processus qui implique une transition « humain > plante » dans différents formats. Le projet juxtapose des disciplines telles que les arts, la philosophie, la biologie, l’écologie, la physique, la botanique, la médecine, les soins infirmiers, la pharmacologie et l’électronique. Trans*Plant entend développer un projet qui s’implique dans les débats actuels sur l’Anthropocène à partir d’une perspective qui n’est pas basée sur « l’exceptionnalisme humain et l’individualisme méthodologique », mais qui aborde le monde et ses habitants comme le produit de « processus cyborg », de « devenir avec » et de « sympoïèse ».
Quimera Rosa nous engage à penser à une écologie non anthropocentrique devant « passer d’identités fondées sur des essences à des identités fondées sur des relations ». Ils nous expliquent le processus de transition humain>végétal incluant un protocole d’injection de chlorophylle auquel ils se sont expérimentés et qui, par les peurs, les fantasmes et les jugements qu’il génère, ouvre le débat sur le système identitaire. Le collectif l’affirme : « un processus d’auto-expérimentation n’est pas un processus individuel, il est toujours collectif ». Et nous rappelle que « obtenir une molécule pure de chlorophylle est aussi difficile que de se procurer de la testostérone auprès de l’industrie pharmaceutique et biomédicale ou du système juridique et sanitaire. Toute vie est brevetée », alertent-ils.
Ewen Chardronnet & Maya Minder
« La Chlorophylle soit avec / en toi »
Le plus gros problème avec l’écologie dominante est qu’elle est basée sur la notion de nature, une notion créée historiquement pour séparer l’humanité du reste de l’univers et établir ainsi avec lui une relation coloniale. Le binôme culture/nature structure une liste infinie d’autres binômes de la pensée occidentale moderne : homme/femme, blanc/non-blanc, hétéro/homo, science/sorcellerie, adulte/enfant, normal/anormal… Le deuxième terme de chaque binôme se trouvant associé à la nature et donc soumis au même régime de violence. Au moyen d’une hétérotrophie portée à son maximum, se constitue une nécropolitique qui a littéralement décidé de tout consommer. Protéger la nature semble donc une mauvaise idée… Il est assez curieux qu’on en soit venu à accepter qu’un individu délimité par une enveloppe de peau constitue un être vivant, mais que la planète dans son ensemble ne soit pas un organisme vivant […].
Pour pouvoir penser une écologie non anthropocentrique, il nous faut passer des identités fondées sur les essences à des identités fondées sur les relations. Un processus de transition humaine > plante qui inclut un protocole intraveineux de chlorophylle, et à travers les fantasmes, les peurs et les jugements que cela génère, ouvre le débat sur le système identitaire qui est en jeu. Un processus d’auto-expérimentation qui n’est pas du tout individuel, puisque les personnes qui l’accompagnent transitent avec elle. L’obtention d’une molécule pure de chlorophylle pose les mêmes obstacles de la part de l’industrie pharmaceutique et biomédicale ainsi que du système juridique et sanitaire, que l’obtention de testostérone. C’est l’ensemble de la vie qui est breveté.
Quimera Rosa
Interview vidéo (crédits) © Ewen Chardronnet et Maya Minder
Co-réalisation (cadrage et montage) : Sandra Bühler
Traduction et sous-titrage : David Bernagout