À l'invitation de Federica Chiocchetti, nous présentons un entretien avec Patrick Goddard sur son film Animal Antics (2021). Ce dialogue a été l'occasion d'aborder des thématiques d'actualité concernant la question animale. En partant de la figure de Whoopsie, la chienne parlante protagoniste du film de Goddard, il s'agira d'interroger des sujets tels que la tension entre anthropomorphisme et zoomorphisme et le rapport à l'altérité animale inhérent à l'être humain.
Marie Rebecchi

Marie Rebecchi : Vous dites dans un entretien qu’Animal Antics (2021) est une comédie qui se déroule dans un zoo, dans un avenir proche mais indéterminé. Le film suit deux personnages : Sarah, une femme en milieu de vingtaine, et une chienne douée de parole, Whoopsie, qui est très fière de son pedigree et ne comprend pas ce qu’est la nature sauvage [the wild]. Whoopsie possède la faculté de communiquer verbalement avec les humains et parle avec Sarah en anglais. En mettant en scène cette chienne parlante et sophistiquée, si éloignée des autres espèces animales qu’elle rencontre pendant sa visite au zoo avec Sarah, quel type de relation entre humain et chien vouliez-vous montrer ? Y a-t-il là une intention politique ?

L’exemple qui me vient en tête est le Manifeste des espèces compagnes (2003) écrit par Donna Haraway. Dans les premières pages du texte, la philosophe féministe (également autrice du célèbre Manifeste cyborg [1985]) déclare : « Ce manifeste explore deux questions découlant de cette aberration et de cet héritage : I) En quoi le fait de prendre au sérieux les relations entre les chiens et les humains peut-il conduire à une éthique et une politique dévouées à la prolifération des “relations de partenaires” [significant otherness] ; et II) dans quelle mesure les récits provenant des mondes que partagent ces deux espèces pourraient-ils convaincre mes comateux compatriotes – et éventuellement des citoyens de nations moins touchées de cécité historique – que l’histoire joue un rôle dans les naturecultures ? […] Ce sont les chiens, dans leur complexité historique, qui m’importent ici. Ces derniers ne sont pas prétexte à d’autres thèmes ; ils sont une présence charnelle, matérielle autant que sémiotique, au sein même de la technoscience. Les chiens ne sont pas un substitut à la théorie, ne sont pas là seulement pour donner “matière à penser”. Ils vivent parmi nous. Complice dans le méfait que constitue l’évolution humaine, le chien a foulé le jardin terrestre dès le premier jour, rusé comme un renard. »

Que pensez-vous de ces affirmations ?

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

Patrick Goddard : En fait, je n’ai lu le petit livre d’Haraway qu’après avoir rédigé la moitié du scénario, et uniquement parce que je me disais que je ne pouvais pas ne pas le lire, donc il n’a eu qu’une influence réduite sur les personnages. Ma vision des chiens et des espèces compagnes est un peu plus blasée que celle d’Haraway (même si elle est tout aussi passionnée), mais j’aime particulièrement la citation ci-dessus : « Complice dans le méfait que constitue l’évolution humaine » !

Whoopsie est un bichon frisé. Pas un chien de travail, mais un chien de compagnie, ce qu’en anglais, on appellerait un « lap dog » : un chien ayant la taille et le tempérament adéquats pour rester sur les genoux des humains. Sélectionné sur plusieurs générations pour adorer se faire caresser, cajoler et, comme son nom l’indique, conservé pour conserver au chaud les cuisses des dames riches pendant cette période de ténèbres antérieure aux radiateurs et au chauffage au sol. C’est pourquoi je ne suis vraiment pas tendre à l’égard d’Haraway et de sa notion d’animaux « complices ». Surtout s’agissant des questions de la libre volonté, de la capacité d’agir et du prédéterminisme biopolitique dont ils ont fait l’objet.

Néanmoins, dans le film, la chienne Whoopsie est dans une large mesure un tenant-lieu des humains ; et bien sûr, elle nourrit, comme nous autres, l’illusion d’avoir une volonté libre et une capacité d’agir pleine et entière : à ceci près que, chez elle, le prédéterminisme biopolitique occupe la place qui est chez nous celle des idéologies culturelles. À la fin de mon film, Whoopsie (tenue en laisse), après avoir dénigré et moqué les animaux du zoo, est soulevée du sol et placée dans sa minuscule cage dans le coffre d’une voiture.

Clairement, et peut-être par défiance à l’égard du manifeste d’Haraway, j’ai utilisé Whoopsie comme un procédé littéraire me permettant de rire des humains. De la même manière que ces derniers, Whoopsie considère les animaux comme des êtres distincts, autres, au lieu de se considérer comme un animal parmi d’autres. Et de la même manière que les humains, elle refuse que son environnement immédiat soit contaminé par d’autres espèces (sauf s’ils ont été examinés sous toutes les coutures, validés, stérilisés et disposent de papiers en règle). Whoopsie, doté d’un pedigree attesté, possède, comme les humains privilégiés, des papiers qui soutiennent et légitiment sa place dans l’ordre social.

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

Marie Rebecchi : Whoopsie semble être l’incarnation de la xénophobie humaine la plus atavique. Confrontée à l’altérité (des animaux sauvages), la chienne « humaine, trop humaine » s’écrie « Lock them up, lock them up [enfermez-les] », comme les supporters de Trump…

Quelle influence l’ouvrage de John Berger Pourquoi regarder les animaux ? a-t-il exercé sur la genèse de votre film ? Animal Antics contient-il une critique implicite (et ironique) de l’anthropomorphisme de Walt Disney ? Que reste-t-il d’animal, de zoomorphe, dans le personnage de Whoopsie ?

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

Patrick Goddard : L’excellent ouvrage de Berger représente une influence majeure pour ma pratique, et c’est une des raisons pour lesquelles, quelques années avant de réaliser Animal Antics, j’ai décidé de me tourner vers l’animal. J’ai non seulement vu, dans Pourquoi regarder les animaux ?, qui porte dans une large mesure sur les zoos, une vision nouvelle de la relation entre animaux et humains, mais j’ai aussi constaté que notre rapport aux animaux constitue un paradigme du Spectacle, du capitalisme (ou de l’anticapitalisme) et des idées d’authenticité. J’entends ici « paradigme » à la fois dans le sens d’exemple et de métaphore : l’animal de zoo comme spectacle – séparé de son contexte, arraché à toute relation sauf à son statut d’objet de contemplation, la nature sauvage domestiquée par notre désir même d’entrer en contact avec elle. La nature sauvage comme chiffre de l’incontrôlé et du non-commercialisé. L’animal « sauvage » comme Autre par excellence.
Toutefois, Pourquoi regarder les animaux ? s’intéresse principalement aux animaux pour leur réalité vécue et non comme métaphore d’autres conditions humaines. Berger écrit : « Il est trop facile et trop évasif de faire du zoo un (simple) symbole. Le zoo est une démonstration des relations entre l’homme et les animaux. » Mon film réfléchit à l’animal dans sa réalité corporelle d’être fait de sang, de tendons et d’os, mais aussi en tant que métaphore commode ou que cas nous permettant d’étudier la cognition et des questions sociopolitiques, donc profondément humaines.

Pour citer encore Berger, « partout les animaux disparaissent. Dans les zoos, ils constituent le vivant monument de leur disparition. » Dans notre monde consumériste et capitaliste, l’imagerie animalière (les peluches, les dessins animés, les animaux de compagnie, etc.) s’est mise à proliférer « au moment où les animaux ont commencé à être évacués de la vie quotidienne ». Dans mon film, le personnage de Whoopsie ne se rapporte aux autres animaux qu’à travers des références empruntées à la pop culture – anthropomorphisme à la Disney.

Dans Animal Antics, l’animal (à l’exception de la chienne Whoopsie) est l’Altérité ultime : inconnaissable, étranger et soit muet, soit s’exprimant dans un « ıcharabia » incompréhensible. Whoopsie – en tant que sujet néolibéral – a du mal à accorder de la valeur à ces animaux « soi-disant sauvages » et qui, par définition, sont extérieurs aux rapports capitalistes.

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

Marie Rebecchi : Animal Antics se déroule dans un zoo, qui, dites-vous, est une « hétérotopie ». Un espace concret susceptible d’accueillir un certain imaginaire : un « espace autre », comme l’explique Michel Foucault dans une conférence de 1967, interne à la société mais régulé par ses propres normes (ainsi des cimetières, des stades, des parcs de loisirs). Dans le cas du zoo, on pourrait dire qu’il s’agit d’un espace de domestication qui rassemble en un même lieu les milieux de vie respectifs des différents animaux sauvages. Votre film condamne-t-il implicitement les zoos en tant qu’espaces où sont consignés de force les animaux sauvages ? Ou votre conception de cette « hétérotopie » est-elle plus détachée et moins militante ? En effet, il me semble que vous observez ce lieu avec « gravité », en faisant du zoo une métaphore de l’état des sociétés contemporaines…

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

Patrick Goddard : Le film n’est pas « anti-zoo » ; au contraire, il fait le deuil d’un monde dans lequel le zoo est le dernier refuge de l’animal. Ce sont des lieux fascinants, amusants et infiniment tristes.

Le zoo est un contenant hétérotopique d’hétérotopies : le public habite un parc-musée sécurisé et liminal qui englobe une multitude d’imitations de paysages et d’environnements en miniature du monde entier. Mes deux personnages, Sarah et Whoopsie, se baladent de cage en cage d’un pas contemplatif, d’une façon pas si différente d’un visiteur de galerie d’art : en quelques enjambées, ils passent des plaines d’Afrique aux profondeurs des océans. Comme tous les visiteurs de zoo, ce qu’ils en sont venus à visualiser, sans jamais pouvoir la rencontrer, c’est la Nature sauvage.

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

J’ai tenté d’intégrer dans le film autant de paysages que possible, et des paysages aussi divers que possible, en enchaînant brutalement des cadres radicalement hétérogènes les uns aux autres : on passe de l’enclos maritime des pingouins de l’Antarctique à une serre humide de la forêt de pluie, puis au monde miniature des insectes, tandis que le dialogue glisse sans cesse sur ces changements de cadre, comme si les protagonistes jouaient avec un appareil de téléportation réglé sur un mode aléatoire. Dans cette partie, les personnages sont détachés et ignorent les enclos – comme s’ils discutaient en zappant d’une chaîne de télévision à une autre. Les animaux et leurs écosystèmes d’imitation, séparés de leur contexte, ne sont rien d’autre que des phénomènes esthétiques désintéressés. Dans ce passage du scénario, les deux personnages regardent les girafes :

WHOOPSIE : J’adore ça. Éprouver quelque chose d’un peu réel, tu vois. D’un peu brut. Une rencontre originaire… Mais sans danger ! Je veux dire, ces bêtes-là, elles sont vraiment là en chair et en os. Effrayantes ! Très rétro… Un vrai morceau d’histoire vivante. Pas comme les dessins animés de la télé. Elles sont là, comme un freak show du temps jadis. Maintenues en vie dans le mausolée.
SARAH : Le mu-zé.
WHOOPSIE : C’est… c’est exactement ce que je viens de dire.

À mon sens, Animal Antics se déploie sur trois plans. Premièrement, c’est un examen non symbolique de la relation entre animal et humain et de l’Anthropocène. Deuxièmement, il emploie la notion de Nature sauvage comme métaphore de l’inconnu, de l’incontrôlé, du dehors, et, en dernière instance, de l’anticapitalisme. Troisièmement, il fait de l’animal un code désignant l’immigré et l’Autre, en transposant des tropes racistes et une terminologie souvent animalière, tirés de médias de droite, pour les réinjecter dans un discours zoologique. En contemplant des poissons, Whoopsie s’exclame sans qu’on lui ait rien demandé : « Alors, c’est sûr, les mammifères ont l’air mignons – et, comme tu le sais, je suis moi-même une énorme fan des suricates –, mais, mais par contre, quand ils grouillent dans le centre de loisirs à côté de chez toi ? Et bien sûr, c’est que la partie émergée de “l’isberg”, parce qu’après il y a les oiseaux… et pire encore ! »

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

Marie Rebecchi : J’aimerais explorer la question de la relation homme-chien dans votre film et, plus généralement, au cinéma. Dans un article récent, « Pour un chien jaune. Questions de figuration humaine au cinéma » (2020), Jean-Michel Durafour pose, en s’appuyant sur un texte écrit par Étienne Souriau en 1956, « L’univers filmique et l’art animalier », qu’il existe trois manières de figurer le chien au cinéma, dans sa relation de coévolution avec l’homme : anthropologique, anthropomorphologique et anthropocéphalique.

En particulier, le mode anthropomorphologique diffère de toute forme d’anthropomorphisme. Si le second rabat l’animal sur des formes et des procédures purement humaines (par exemple, les chiens stars que sont Dingo, Rintintin, Lassie), le mode anthropomorphologique dépasse la distinction entre humain et non humain, en concevant l’homme et le chien comme un seul et même corps en transformation (Durafour prend pour exemple les chiens peints par Lucian Freud dans Double Portrait [1986] ou les chiens maltraités dans le film Suchwiin bulmyeong de Kim Ki-duk [Adresse inconnue, 2001]). Whoopsie semble elle aussi dépasser le banal anthropomorphisme, non seulement dans la mesure où elle incarne les vices et les vertus des êtres humains, mais aussi parce qu’elle constitue avec Sarah un corps commun, lorsqu’elles discutent du langage animal ou encore de la relation des humains avec les non-humains…

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

Patrick Goddard : Au départ, Whoopsie devait être un jeune enfant, et ses répliques n’ont pas énormément changé après sa transformation en chien. La substitution farcesque – en l’occurrence, le changement d’espèce – est un procédé comique assez banal et qui consiste à utiliser l’absurde pour faire la satire de conventions sous-jacentes et d’idéologies qui auraient pu passer inaperçues. Dans mon film, le fait que la chienne Whoopsie ne se considère pas comme un animal parmi d’autres est la satire d’un isolationnisme spéciste très humain. Par conséquent, Whoopsie n’est pas un chien anthropomorphe, mais plutôt un humain cynomorphe.

Comme vous le rappelez, le thème du langage est en effet récurrent dans le film. Le premier langage animal (hors chien) que l’on y rencontre est celui des suricates « parlants ».

SARAH : Ils s’expriment, mais ne disent que des choses très très élémentaires. Ils ne « parlent » pas vraiment… Ils ne comprennent pas vraiment ce qu’ils disent, ils copient, c’est tout… Ils sont juste entraînés pour, en quelque sorte…
WHOOPSIE : Oh mais, qu’est-ce que j’aime les animaux parlants. Je pense qu’on devrait faire parler tous les animaux. D’une simplicité blibique !
SARAH : Ils ne font que répéter ce qu’on leur a appris à reconnaître comme réponse grammaticalement correcte.

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

 

Chacun des suricates prétend s’appeler Eliza, ce qui est à la fois le nom de la protagoniste de My Fair Lady, à qui l’on apprend à parler avec « distinction », et celui du premier ordinateur à avoir passé le test de Turing – à avoir convaincu, l’espace d’un instant, un interlocuteur humain qu’il était lui-même une entité sensible et intelligente.

Il est ironique que, plus tard, Whoopsie répète textuellement l’opinion de Sarah à un autre visiteur du zoo, mais en faisant des erreurs de grammaire qui révèlent qu’elle non plus ne comprend pas vraiment le contenu de ce qu’elle raconte, et qu’elle est donc semblable au suricate qui agence des mots dans une syntaxe presque acceptable.

Plus tard encore, Whoopsie s’exclame : « On devrait faire parler le lion ! » Ce qui conduit Sarah à répéter la thèse de Wittgenstein selon laquelle, si un lion pouvait parler, on ne le comprendrait quand même pas. (La chienne n’est pas d’accord et invoque Le Roi lion comme exemple de lion compréhensible.) Sarah développe cette idée en posant que les points de repère d’un lion – sa vie biologique et culturelle – nous sont si étrangers que, même si nous partagions le même lexique, la signification nous échapperait totalement.

Peu après, dans une parodie de condescendance raciste, Whoopsie est remontée contre les pingouins qui, bien qu’ils semblent parler, lui sont inintelligibles : « Je ne comprends pas un traître mot de votre charabia », leur crie-t-elle avec colère. La compréhension mutuelle – plutôt que la langue étrangère – est donc la norme à l’aune de laquelle la chienne accorde de la valeur aux animaux.

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

Marie Rebecchi : Ces dix dernières années, on a beaucoup débattu en France de la possibilité d’adopter le point de vue des animaux pour faire monde commun avec eux, et l’on a tenté de repenser notre rapport au vivant et à notre animalité intérieure. Je pense par exemple aux livres de Vinciane Despret Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions (2012) et Habiter en oiseau (2019), ou encore à l’ouvrage de Baptiste Morizot Sur la piste animale (2017). Cette vague de pensée a-t-elle aussi inspiré votre travail artistique ? Ou votre film part-il d’une position différente ?

Patrick Goddard : Mon film part en fait de la position inverse. Je me suis inspiré d’un article (tiré d’une conférence) du philosophe Thomas Nagel, « Quel effet cela fait-il d’être une chauve-souris ? » Je lui ai dédié une scène du film.

Dans cette expérience de pensée sur la conscience humaine, Nagel pose plusieurs énigmes relatives à la cognition et au caractère insoluble du problème corps-esprit, dû à des « faits hors de portée des concepts humains », aux limites de l’objectivité et du réductionnisme, aux « caractéristiques phénoménologiques » de l’expérience subjective, aux limites de l’imagination humaine et à ce que signifie le fait d’être une entité consciente particulière.

Selon Nagel, nous ne pouvons pas savoir ce que cela fait d’être une chauve-souris – ou, plus précisément : ce que le fait d’être une chauve-souris fait à une chauve-souris. On peut imaginer ce que cela fait d’être la tête en bas, d’entendre le couinement aigu des ultrasons et de manger des insectes, mais ces expériences phénoménologiques ne peuvent se traduire dans les termes de notre cognition humaine, d’une manière qui soit pour nous douée de signification.

Je n’ai malheureusement pas lu les textes que vous citez, mais j’ai l’impression qu’ils recherchent un système permettant de produire de la similitude, et, ainsi, de l’empathie, donc qu’ils veulent construire un système d’attribution de valeur. L’attribution d’une valeur à l’animal est l’une des positions politiques qui sous-tendent mon film, mais mon problème central est de déterminer comment donner de la valeur à ce qui nous est radicalement étranger et que nous ne pouvons pas comprendre. Je voudrais savoir s’il est possible de sympathiser lorsque l’empathie est impossible.

Cela dit, je me suis amusé dans ce film à imaginer le point de vue des animaux : nous avons filmé celui de l’araignée à travers un kaléidoscope, celui du rat-taupe à travers une gigantesque lentille de Fresnel, et un poisson regarde, à travers la surface déformante de l’eau, des chiens qui le fixent intensément en retour…

Photogramme extrait du film “Animal Antics" © Patrick Goddard, 2021

Marie Rebecchi : L’espace-temps du film est délimité par celui d’une promenade réelle dans le zoo. L’utilisation du noir et blanc semble mettre le spectateur à distance de la réalité concrète, en le projetant dans un ailleurs allusif et métaphorique. Pourquoi avez-vous choisi de filmer Animal Antics en noir et blanc ?

Patrick Goddard : Je trouvais le noir et blanc plus mélancolique, il m’évoquait une aspiration nostalgique conforme à ma vision d’un monde triste où la nature sauvage n’existe plus (celui dans lequel nous vivons déjà ?). Le noir et blanc se rend peut-être coupable de fétichisation de ses sujets animaux, mais cela même semblait s’accorder thématiquement avec le projet esthétique du zoo, qui fait primer un biais visuel sur toute autre considération (on éclaire les chauves-souris qui vivent dans l’obscurité, on met dans des tunnels en plastique transparent des bêtes qui habitent sous terre).

Le scénario est celui d’une comédie parfaitement assumée, qui va à toute allure – mais je voulais que le reste du film soit aussi grave, classique et beau que possible, pour contrebalancer par le pathos cet humour inspiré du slapstick.