Ce texte constitue la quatrième et avant-dernière livraison de ma série consacrée au photobombage, au trope de l’intrusion et de la distraction photographiques dans l’œuvre de quelques artistes contemporains.
Comme je l’ai écrit dans mon précédent article Petite phénoménologie imaginaire du photobombage, l’artiste néerlandais Hans Eijkelboom peut être considéré comme un photobombeur avant la lettre : en effet, en 1973, dans deux séries d’œuvres conceptuelles et performatives, Met mijn gezin (Avec ma famille) et In de krant (Dans le journal), il fait personnellement intrusion dans des images. Nous avons eu une riche discussion sur Zoom à propos de Dans le journal et de deux autres images, moins connues, extraites de ses archives.
Federica Chiocchetti : Pour Dans le journal, vous avez réalisé l’exploit de photobomber les photos d’un journal local pendant pas moins de dix jours consécutifs. Avez-vous eu beaucoup de difficultés à produire cette œuvre ?
Hans Eijkelboom : Aujourd’hui, cela poserait beaucoup de problèmes, mais à l’époque ce n’était pas si difficile. Chaque jour, le journal publiait un agenda des huit à dix événements importants du lendemain. Je me rendais à la totalité d’entre eux, et il y en avait un qui fonctionnait. J’écoutais aussi les communications radio de la police et, dès qu’il était question d’un accident, je prenais mon vélo et me précipitais sur place pour figurer parmi les badauds.
FC : Qu’est-il arrivé aux photos où vous apparaissez mais qui n’ont pas été publiées dans le journal ?
HE : Elles sont perdues. Le problème est que j’aurais dû les acheter et qu’à cette époque, j’étais un artiste très pauvre. Il m’a donc été impossible de le faire et je regrette de ne pas les avoir en ma possession.
FC : En explorant vos archives, j’ai trouvé deux autres images qui m’ont beaucoup intéressée pour la manière dont elles se rapportent à l’idée de photobombage. La première représente un groupe d’étudiants tenant des pancartes à votre effigie, une sorte de méta-photobombage, bombage d’une photographie par une autre…
HE : Elle a été réalisée à l’époque du Rideau de fer, à l’occasion d’un festival artistique qui s’est tenu à Varsovie en 1978. Il était alors impossible d’organiser des manifestations là-bas, surtout des manifestations en faveur d’une personne. Je voulais en faire une dans le centre-ville, mais finalement j’ai dû me rabattre sur le quartier étudiant. L’image traite de l’identité dans le contexte du communisme. Il était inconcevable de donner de l’importance à une personne en manifestant pour elle. Les gens n’arrêtaient pas de demander : « Qui est-ce ? » pensant qu’il s’agissait d’un homme politique de Varsovie. En fait, c’était un portrait de moi à ce moment-là.
FC : La seconde photo vous montre en compagnie de Joseph Beuys : c’est un photomontage ?
HE : Pas du tout. Je travaillais sur la notion d’importance, sur comment on devient important si l’on figure sur des photos aux côtés de personnes importantes. J’ai réalisé deux séries, l’une sur le monde politique, l’autre sur le monde de l’art. Dans la seconde, j’ai choisi quatre artistes : trois artistes néerlandais importants, plus ou moins oubliés aujourd’hui, et Joseph Beuys.
FC : Comment vous êtes-vous débrouillé pour apparaître dans cette image ?
HE : Étonnamment, ça a été très facile : je lui ai téléphoné, il était très aimable et m’a invité à lui rendre visite chez lui à Dusseldorf. J’y suis resté une demi-journée, nous avons mangé, discuté et j’ai pris quelques photos de nous deux.
FC : Étant donné la notoriété de Beuys, j’ai cru à un photomontage. Mais à présent je vois en quoi cette image s’inscrit dans la catégorie du photobombage mis en scène, compte tenu du soin que vous avez mis à figurer sur une photo en sa compagnie.
Federica Chiocchetti/Photocaptionist
Traduction de l’anglais : Nicolas Vieillescazes