Ceci est la troisième contribution de ma série consacrée au photobombage, où l’on s’intéresse au trope de l’intrusion et de la distraction photographiques chez quelques artistes contemporains.
Cette fois-ci, nous plongeons dans les archives familiales de Moira Ricci, artiste visuelle toscane dont le travail – souvent de nature autobiographique, mêlant l’invention technologique et l’image populaire – enquête sur l’identité individuelle et sociale, l’histoire familiale et le pays d’appartenance. Dans sa série 20.12.53–10.08.04 – dates de naissance et de décès de sa mère – (2004-2014), la notion de photobombage revêt des nuances cathartiques.
Après avoir sélectionné un nombre significatif de vieilles photos de famille où figure sa mère, elle s’introduit dans ces images grâce aux moyens du numérique, mais de façon si subtile et si plausible que l’on a l’impression qu’elle était présente au moment où la photo a été prise. Par là, elle tente de rencontrer sa mère virtuellement à différents moments de sa vie, avant sa mort soudaine. Bien que Ricci tente d’habiter ces images de manière plausible, en s’habillant conformément aux tendances des époques représentées, elle préfère apparaître discrètement, observer sa mère en tant que figure extérieure, presque depuis les coulisses.
Son inquiétante présence subvertit avec délicatesse l’idée de Roland Barthes selon laquelle la photographie saisit le « ça a été » de la réalité ; ainsi, elle crée un scénario spectral et fictif qui rappelle les photographies d’esprits réalisées au XIXe siècle par William Mumler. Mais, dans la manière dont Ricci revisite ces photos du passé, il n’y a pas une once de nostalgie mélancolique ; il y a, au contraire, une profonde aspiration à manipuler la dimension spatiotemporelle de la réalité, à effacer la distance, dans le but libérateur d’enquêter sur le passé de sa mère en lien avec son propre présent et ses origines.
Federica Chiocchetti/Photocaptionist
Traduction de l’anglais : Nicolas Vieillescazes