© Sara Ouhaddou



Les œuvres de l’artiste franco-marocaine Sara Ouhaddou naissent d’une mise en mouvement entre des cultures et des territoires, à la recherche de dialogues inédits. Sa vie et sa pratique ressemblent à celles d’une passeuse, par définition, une personne qui fait connaître et propage une œuvre, un savoir entre deux cultures ou deux époques. Des montagnes de l’Atlas au Maroc d’où viennent ses ancêtres à la région d’Aomori au nord du Japon où elle a résidé, elle a fait de son attrait pour des cultures anciennes la ligne directrice de son travail, et un guide vers une interdisciplinarité de formes, de médiums, de savoir-faire qui lui confère sa singularité. Née en 1986 dans le sud de la France au sein d’une famille d’origine marocaine, Sara Ouhaddou a grandi avec une double culture qui a façonné sa pratique artistique. Installations, peintures, sérigraphies, broderies, céramiques… la diversité des moyens qu’elle convoque, témoigne d’une mobilité formelle à la merci de ses projections narratives.

Son travail interroge les héritages culturels et leurs transformations au fil de générations, basé sur des recherches à la croisée de démarches archéologiques ou anthropologiques. Dans un même mouvement, elle examine des objets anciens pour y prélever les traces matérielles ou immatérielles laissées par l’histoire. Intéressée par les origines du langage et les premières formes d’écriture pictographique, elle répertorie les signes et symboles présents sur ces objets ainsi que leurs significations premières liées aux territoires qui les ont vu naître. Dans un vœu double, de continuité de transmission mais aussi de réinvention, ces signes et symboles sont ensuite traduits sous différentes formes dans ses œuvres, la plupart du temps conçues en collaboration avec ses ami·e·s, sa famille, mais aussi des artisan·e·s dont les savoir-faire menacent aujourd’hui de disparaître.

Reposant sur cette complicité entre l’émergence d’un langage et son milieu d’origine, son projet Atlas/Aomori amorcé en 2018 met en dialogue deux géographies et leurs peuples premiers : les Amazigh1 dans les montagnes de l’Atlas et les premiers habitants à s’être sédentarisés dans la région d’Aomori à l’ère Jōmon (de -13 000 à environ -300 avant JC). En appui de ce projet au long cours, Sara Ouhaddou a commencé à confectionner une vaste cartographie mentale pour y agencer ses recherches. Intitulée « Une mémoire partagée », celle-ci n’a depuis cessé de grandir. Images d’objets et de paysages, notes et symboles semblent s’y animer grâce aux flèches et aux flux de pensée qui s’attachent à les relier d’une époque à une autre, d’une géographie à une autre. Depuis leurs premières apparitions sur des poteries, tapis ou broderies anciennes jusqu’à leurs réminiscences sur des objets contemporains, ces symboles abstraits et les concepts qu’ils représentent, dessinent alors, dans les interactions et associations imaginées par l’artiste, de nouvelles lignées à travers le temps et l’espace.

Hannah Darabi
Sara Ouhaddou, Atlas—Aomori, 2017–2023. Carte mentale (photos, dessins, Post-it sur papier), 90 x 230 cm.
Reproduction avec l’aimable autorisation de l’artiste.



Pour PALM, nous avons choisi de faire parler cette carte mentale, en la prenant comme support à une discussion filmée en temps réel avec un téléphone, dont les mouvements de caméra viennent rejouer les flux, les errances et les épiphanies liés à ce processus de recherche. La vidéo, ici présentée, n’est donc ni une œuvre, ni véritablement un entretien, mais le témoin précieux d’une pensée en mouvement — de celle qui façonne les œuvres de Sara Ouhaddou et qui s’attache, à travers les objets qui nous entourent, à raconter les liens aussi persistants que précaires qui nous accordent à nos milieux de vie et à leur épaisseur temporelle.

Élodie Royer


1 Groupe d’Afrique du Nord, les Berbères, dont la présence est antérieure à l’arabisation et à l’islamisation, se nomment eux-mêmes Imazighen, pluriel d’Amazigh, qui signifie « homme libre ».