Cycle de cinéma
Ben Rivers
Strates fantômes et autres histoires
Du 14 au 26 novembre 2023
Jeu de Paume - Paris
Ce cycle parcourt la filmographie et célèbre l’influence de Ben Rivers sur le cinéma contemporain et invite les spectateurs à habiter ses mondes, ainsi qu’à en fabriquer de nouveaux aux côtés des auteurs et autrices invités à cette occasion.
Né dans le Somerset et résidant à Londres, Ben Rivers a produit une quarantaine de films en seulement vingt ans. Multipliant les collaborations de part et d’autre de la caméra (avec Ben Russell, Anocha Suwichakornpong, Oliver Laxe, Shezad Dawood, Gabriel Abrantes, Mark von Schlegell, Mohammed Mrabet, Rose Wylie, Jake Williams, Céline Condorelli, etc.), Rivers a su fabriquer un univers reconnaissable par son travail sur la pellicule, ainsi que par son inépuisable curiosité pour des êtres et des communautés ayant choisi, à des degrés divers, de tenir la société à distance et d’inventer des modes de vie autonomes, des mondes hermétiques et des relations singulières au temps.
Formé à la sculpture avant de se tourner vers la photographie et d’apprendre en autodidacte à réaliser et à développer la pellicule 16 mm, il détourne les codes du cinéma ethnographique et du documentaire avec humour et inventivité au profit d’essais poétiques et de fables spéculatives, en réponse aux incertitudes et aux désastres de notre époque. Lecteur insatiable, il puise souvent dans la poésie, la littérature fantastique ou la science-fiction — quand il ne collabore pas directement avec des écrivains — la matière à partir de laquelle rebâtir des mondes nouveaux sur les ruines de l’ancien. Quel que soit le style qu’il emprunte, on décèle toujours en creux une dimension singulière de journal ou d’autofiction. Dans Ghost Strata (2019), Ben Rivers interroge une cartomancienne sur la direction à prendre pour le film qu’il est en train de faire ; celle-ci lui répond que ce film, comme tous les autres, parlera de lui. Dans House (2005), une bougie flottante, trahissant la présence d’un fantôme, prend très nettement la forme d’un « i » minuscule (« je » en anglais). Et dans The House Was Quiet, dernier volet d’une trilogie consacrée aux maisons hantées, la lecture en voix off d’un poème de Wallace Stevens assimile l’espace du film aux pages d’un livre et à la quiétude de la lecture : « La maison était tranquille et le monde était calme. / Le lecteur devint le livre ; et la nuit d’été / Fut comme l’être conscient du livre. »
« Le contrechamp d’un monde qui se défait ou se dérobe est un individu mélancolique », écrivait Pierre Alferi dans son recueil sur le cinéma Des enfants et des monstres (2004). On pourrait ajouter qu’il est toujours possible, quand le monde court à sa perte, de le retrouver par la fiction, et d’utiliser l’imagination à des fins de survie. Cette première rétrospective française de grande ampleur du travail de Ben Rivers ne cherche pas moins à récapituler l’une des oeuvres les plus importantes du cinéma contemporain qu’à profiter de sa puissance régénératrice. La présentation de chacun des programmes du cycle a été confiée à une autrice ou un auteur de fiction de renom, qui lira le texte que lui a inspiré la sélection de films projetés — texte qui donne par ailleurs son titre à la séance. L’ensemble de ces écrits forme la matière d’un recueil de nouvelles, publié par Fireflies Press. Tout en dessinant un panorama de la littérature contemporaine que Ben Rivers affectionne, ce livre et ce cycle invitent à habiter ses mondes et à en fabriquer de nouveaux avec lui.