Création en ligne
Constant Dullaart : HIGH RETENTION, SLOW DELIVERY
Un projet de Constant Dullaart
Du 26 septembre 2014 au 30 avril 2015
Jeu de Paume – en ligne
Avec High Retention, Slow Delivery (2014), Constant Dullaart a créé une pièce abordant les médias sociaux sous un angle critique, qui cible l’économie de l’attention telle qu’elle se développe sur les réseaux sociaux numériques comme Facebook, Instagram, LinkedIn et Twitter.
Leurs mécanismes de partage (les « Likes », « Retweets », « Followers » et autres « Friends ») encouragent la mise en place d’un « système d’évaluation fondé sur la popularité au détriment de la qualité, sur le savoir-faire en matière de réseaux sociaux au détriment du talent ». Plus il y a de Suiveurs, de J’aime, de Retweets et d’Amis, mieux c’est. La valeur, pour les médias sociaux, est proportionnelle à l’attention suscitée. L’attention est devenue la nouvelle devise, la monnaie forte de cette économie contemporaine dont les « Amis » sont les agents. Une quantification qui s’applique à tout et qui aboutit à la capitalisation totale de la collectivité 1.
Il arrive toutefois que le nombre des Suiveurs, Amis, Retweets et J’aime soit invraisemblablement élevé, ce qui a incité Constant Dullaart à s’intéresser précisément à ces scores « anormaux ». Qui sont donc ces Amis et Suiveurs qui Aiment, Cliquent et Retweetent sans discontinuer ? Ayant scruté des centaines de profils dans différentes « cohortes » de Suiveurs, l’artiste a eu tôt fait de constater qu’un grand nombre d’entre eux sont produits exclusivement par des programmes informatiques utilisant aléatoirement des photographies et des noms glanés en ligne. Ces profils factices, « à la Potemkine », présentent pour la plupart des caractéristiques communes : des photos au nombre de cinq, exactement, et des patronymes composés d’étranges combinaisons de noms.
On peut se porter acquéreur de Suiveurs de synthèse par lots de plusieurs milliers pour accroître ses propres scores de popularité : « Non qui l’on connaît, mais qui l’on a pour fan. » Ce commerce a une plateforme de prédilection : eBay. Son slogan publicitaire – « High Retention, Slow Delivery » – fait allusion à la fois au temps pendant lequel les Suiveurs se maintiennent sur un compte web et à leur « livraison » : ils sont ajoutés les uns après les autres par petits groupes pour préserver toutes les apparences de normalité.
High Retention, Slow Delivery de Constant Dullaart est un piratage de médias sociaux ayant pour objectif, dit l’artiste, de « propager le socialisme de l’économie de l’attention ». Comment cela fonctionne-t-il ? Dullaart a acquis en masses des Suiveurs Instagram de synthèse (puis plus tard de Twitter), qu’il a ensuite très uniformément répartis et assignés à différents utilisateurs de ces deux plateformes. Celles-ci ont été choisies dans le cadre de ce projet spécifique pour la raison que l’utilisateur n’est pas tenu d’« accepter » explicitement ses Suiveurs, à la différence des procédures en vigueur sur Facebook ou LinkedIn, par exemple. N’importe quel compte Instagram ou Twitter offre ainsi la possibilité d’ajouter virtuellement un nombre illimité de Suiveurs.
« Propager le socialisme de l’économie de l’attention » signifie concrètement que Constant Dullaart attribue à plusieurs utilisateurs de ces plateformes un nombre identique de Suiveurs, de sorte qu’il devient impossible de savoir lequel est plus populaire que l’autre. Le dénombrement des Suiveurs devient par conséquent sans objet, car le résultat est le même pour tout le monde.
L’objet de cette œuvre performative se déroulant dans le temps du piratage des médias sociaux consiste à altérer temporairement la relation entre décompte des points et acteurs. Ce travail est entièrement immatériel, hormis une documentation vidéo diffusée en ligne et doublée d’un commentaire explicatif en voix-off. High Retention, Slow Delivery perturbe le déroulement de la quantification, processus central à l’économie de l’attention contemporaine. En redistribuant et en réassignant la nouvelle devise ayant cours dans notre société de plus en plus quantifiée, il rend inutilisable un composant essentiel des médias sociaux.
Traduit de l’anglais par
Christian-Martin Diebold
1 / Voir Byung-Chul Han, « Kommunismus als Ware », Süddeutsche Zeitung, 2 septembre 2014, http://www.sueddeutsche.de/politik/neoliberales-herrschaftssystem-warum-heute-keine-revolution-moeglich-ist-1.2110256
L'artiste
Constant Dullaart (Pays-Bas, 1979) vit entre Berlin et Amsterdam. Il travaille principalement avec Internet, l’utilisant comme espace alternatif de présentation, de représentation et de déformation. Son approche, souvent politique, élabore une critique du contrôle que les systèmes globalisés ont sur notre perception du monde, et de la façon dont nous adoptons passivement leur langage. La pratique artistique de Dullaart inclut notamment des sites Internet, des performances réalisées sur le web, des estampes numériques, vidéos diffusées sur YouTube, remaniements de noms de domaines et publications sur des blogs. La manipulation des images fait partie intégrante de sa démarche artistique, quels que soient leurs réseaux de diffusion.
Bien qu’appartenant à la jeune génération d’artistes créant pour le web, Constant Dullaart se démarque de la plupart de ses confrères par ses œuvres à connotations politiques, à l’occasion desquelles il recontextualise le fonds iconographique immensément diversifié qui circule sur internet.
Son travail a été présenté internationalement dans des institutions dont le MassMOCA, Massachusetts ; UMOCA, Salt Lake City ; New Museum, New York ; Autocenter, Berlin ; de Appel, Amsterdam et Stedelijk Museum, Amsterdam. Constant Dullaart a cofondé le site internet de documentation artistique http://net.artdatabase.org.