Cours & Conférences
"L’Image témoin : l’après-coup du réel" / 3
"Qu’est-ce qu’on dit quand on dit inimaginable ?" avec Sara Guindani. Séminaire à l'Université Paris 8 - Saint-Denis
Hors les murs
> « Qu’est-ce qu’on dit quand on dit inimaginable ? »
Troisième séance du séminaire avec Sara Guindani, chercheuse à l’Université Paris 8.
En 2001, la parution, dans le catalogue Mémoires des camps, du texte « Images malgré tout » de Georges Didi-Huberman suscita l’une des plus virulentes querelles sur les images de ces dernières décennies. Les catégories d’irreprésentable, d’indicible et d’inimaginable furent invoquées pour décrire la difficulté et l’échec de l’image face à la Shoah.
Souvent citées l’une à la suite de l’autre, ces expressions ont pourtant chacune une signification et une connotation spécifiques. Nous nous attacherons en particulier à la notion d’inimaginable ; le prétendu échec de l’image face aux événements traumatiques de l’histoire sera l’occasion pour nous interroger sur les attentes et les acquis que nous avons lorsque nous regardons une image. Nous verrons, à travers des exemples photographiques et cinématographiques, que le regard que nous portons sur les images est souvent un regard conditionné par un platonisme implicite et inconscient, où la question temporelle est absente. Afin de reconstituer le lien originaire entre mimesis et mémoire que l’étymologie de ces mots trahit encore, nous essayerons de penser le passage d’un régime iconique à un régime esthético-pathique de l’image.
Sara Guindani est philosophe et spécialiste d’esthétique. Ancienne boursière du Collège de France, elle a enseigné l’esthétique et la philosophie de l’art à l’université de Milan et à celle de Turin et enseigne actuellement à l’université Paris 8. Ses recherches portent notamment sur les rapports entre arts, philosophie et psychanalyse, avec une attention particulière au rapport entre image et processus mémorial. Elle co-dirige, avec Marc Goldschmit, le séminaire « Spectres de la littérature » à l’École Normale Supérieure pour l’Institut des Hautes Etudes en Psychanalyse.
Parmi ses publications : Lo stereoscopio di Proust. Fotografia, pittura e fantasmagoria nella Recherche (Milan, 2005), L’Image feuilletée. Temps et vision à partir de Proust (en préparation).
Le vendredi 23 novembre à 15 heures,
Bâtiment A, Université Paris 8 – Saint-Denis, salle A1-172
> « L’Image témoin : l’après-coup du réel », séminaire en 10 séances sous la direction d’Emmanuel Alloa, philosophe, en collaboration avec le département d’Arts Plastiques de l’Université Paris 8.
De même que le témoin porte la mémoire d’une expérience du passé, la photographie garde la trace indélébile d’un événement. Face à la violence extrême qui marque le XXe siècle, que signifie penser les images qui rendent compte d’actes de barbarie, non pas comme documents objectifs, mais comme autant de témoignages possibles du passé ? Les interventions de spécialistes internationaux abordent la question de la limite du représentable face aux génocides.
Dans La Chambre Claire, Roland Barthes affirmait que le « noème » de la photographie, c’est son « ça a été », autrement dit le fait que la plaque photosensible garde la trace indélébile d’un évènement. De façon analogue, on pourrait dire que le « noème » du témoin, c’est son « avoir été là », autrement dit le fait que le témoin fut présent au moment fatidique. Et pourtant, le témoin ne deviendra réellement témoin qu’a rebours, une fois qu’il se porte témoin d’une expérience irrémédiablement passée et qu’il redonne voix a ce qui n’est plus par l’après‐coup de son témoignage. Face à la violence extrême qui marque le XXe siècle, qu’est‐ce que cela signifie que de penser les images qui, tant de fois, enregistrèrent les actes de barbarie, non pas tant comme des documentations de faits objectifs, mais comme des réarticulations testimoniales qui ne se limitent pas a répéter le passé mais qui le produisent tout autant, de façon performative ?
Loin d’être soumise à la seule logique de la présence convoquée par le ça a été, l’image photographique obéit à plusieurs logiques temporelles et de discours. Initialement au service de la propagande totalitaire et de ses pulsions scopiques, il n’est pas rare que l’image change radicalement de signe pour passer du stigmate (image répondant aux stéréotypes de la discrimination ou à une logique de violence pornographique exigée par le régime totalitaire) à l’icône, incarnation de la victime, du martyre ou du héros, véritable pars pro toto qui risque à tout moment de la précipiter dans sa fétichisation.
À partir de l’analyse d’images qui illustrent particulièrement bien cette migration du stigmate au fétiche, le séminaire souhaiterait interroger la temporalité propre à l’image. L’hypothèse est qu’elle converge sur plusieurs points avec la temporalité psychique développée par la psychanalyse et notamment avec la notion de Nachträglichkeit (après-coup) qui caractérise le processus de réorganisation et de réinscription des événements traumatiques.
Les diverses conférences vont montrer que, si l’on reconnaît à l’image cette temporalité anachronique, rétroactive et paradoxale, les catégories d’irreprésentable, d’inimaginable et d’indicible cessent d’être efficaces et pertinentes pour une lecture des événements traumatiques de l’histoire.
Emmanuel Alloa est philosophe et théoricien de l’image. Maître de conférences en philosophie auprès de l’Université de Saint-Gall (Suisse), il est Senior Fellow auprès du Centre eikones sur l’image (Bâle) et enseigne l’esthétique au département d’Arts plastiques à l’Université de Paris 8. Dernières publications : La résistance du sensible (Kimé, 2008), Penser l’image (Presses du réel, 2010), L’Image diaphane (diaphanes, 2011), Du sensible à l’œuvre (La lettre volée, 2012). Il codirige auprès des Presses du réel la collection « Perceptions » dédiée à la logique du visuel et à ses transformations contemporaines. Ses recherches actuelles portent sur l’image testimoniale.