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Tsiganes et Bohémiens, un régime visuel occidental, de l'Ancien Régime au second XXe siècle
Conférence d’Henriette Asséo, suivie d’une discussion avec Mathieu Pernot
Mardi 29 avril 2014 • 19:00
Jeu de Paume - Paris
Depuis l’âge baroque, les représentions artistiques des Tsiganes européens traversent les siècles toujours dotées d’une forte charge émotionnelle. Mais contrairement à l’idée commune, ce motif n’est pas le produit d’une construction désincarnée de stéréotypes dévalorisants. Bien au contraire, la déclinaison du thème pouvait revêtir un caractère à la fois aristocratique et populaire, portant haut le régime visuel d’une époque.
Une première figure accompagne la formation de la culture occidentale à l’âge baroque. Du XVIe au XVIIIe siècle, le moment égyptien de la culture de cour associe les Tsiganes aux descendants de l’Ancienne Égypte dont on cherche à percer les secrets. Loin d’être uniquement une activité condamnée par les processus de confessionnalisation catholique et réformée, la bonne aventure est à la fois un thème artistique et une pratique sociale qui pénètre toutes les sphères de la société. Ainsi l’Égyptienne ou la bohémienne française, comme la Gipsey des Anglais, la Zingara des Italiens, la Cingana des Espagnols et la Zigeunerin des Allemands offrent-t-elles leur aimable visage au goût baroque pour les jeux de l’illusion. Alors, qu’à l’arrière de la scène, la « compagnie de bohémiens, militaires au service de la noblesse frondeuse, présente une figure à la Callot plus énigmatique.
Le romantisme s’approprie le mythe de la « nation errante » pour exposer de manière métaphorique un idéal inaccessible de liberté personnelle et de réconciliation avec la Mère nature.
Les Révolutions européennes de la première moitié du XIXe siècle et la formation des mythes nationaux vont diffracter en de multiples composantes l’image des Bohémiens, en incorporant aux identités collectives le thème et les gens.
Dans ses multiples métamorphoses (Bohémianisme, Tsyganshchina, Gitanismo, Zigeunerromantik, etc.), le thème artistique et littéraire joue un rôle important dans les constructions des cultures nationales européennes et devient avec l’avènement de l’autonomie de l’Art, l’objet d’enjeux politiques et artistiques.
Dès le début du XXe siècle, le thème artistique est porté par les avant-gardes et soutenu par la diffusion de la culture urbaine de masse, comme en témoignent les liens avec le cinéma.
Au travers des siècles, la pérennité du thème bohémien s’explique ainsi par la participation effective des sociétés romani et de leurs artistes à l’élaboration et à la diffusion des œuvres, jusqu’aux reflux du second XXe siècle lorsque les régimes totalitaristes voulurent détruire à la fois les avant-gardes et la culture urbaine de masse.
Car l’Europe du XXe siècle est aussi le continent des ténèbres, celui des idéologies totalitaires. Corruptrices et destructrices, elles nous ont donné en legs la collaboration des avant-gardes à la marchandisation irréversible, la fin de l’Art comme instrument d’émancipation collective, et sous sa double composante d’assimilation brutale et/ou de ségrégation forcée, la politique de prolétarisation des communautés romani, pour solde de tout compte.
> Conférence d’Henriette Asséo, historienne, professeur agrégée à l’EHESS, et directrice scientifique du programme européen MigRom attachée à la FMSH, suivie d’une discussion avec Mathieu Pernot, le mardi 29 avril à 19 heures.