“Anarchitecture”. Une table ronde autour de Gordon Matta-Clark au Jeu de Paume,
avec (de gauche à droite) : Corinne Diserens, Jessamyn Fiore, Lara Almarcegui, Jean-Hubert Martin et Sergio Bessa.

Archive magazine (2009 – 2021)

“Anarchitecture”. Une table ronde autour de l’œuvre de Gordon Matta-Clark

Avec Lara Almarcegui, Corinne Diserens, Jessamyn Fiore, Jean-Hubert Martin et Sergio Bessa.



Avec Lara Almarcegui, artiste ; Corinne Diserens, critique d’art et commissaire d’exposition ; Jessamyn Fiore, cocommissaire de l’exposition et codirecteur de l’Estate of Gordon Matta-Clark et Jean-Hubert Martin, historien de l’art et commissaire d’exposition. Modérée par Sergio Bessa, cocommissaire de l’exposition « Gordon Matta-Clark. Anarchitecte » et directeur des programmes curatoriaux et éducatifs du Bronx Museum.



Selon Philip Ursprung, l’anarchitecture constitue « un mouvement capital dans l’histoire récente de la culture visuelle, qui exprime l’ambivalence du rôle de l’artiste : il est celui qui jouit dans son travail d’une totale liberté — l’anarchie —, mais aussi qui est soumis aux règles et aux pressions du contexte économique et politique. » « L’anarchitecture, précise-t-il, se situe à l’épicentre d’un séisme qui a eu lieu au début des années 1970, et dont nous ressentons encore les effets aujourd’hui. Elle coïncide avec le début de la révolution économique qui continue d’ébranler les sociétés du monde industrialisé — ses principales caractéristiques étant la dérégulation du marché du travail, la fin de l’étalon-or, l’apparition des ordinateurs, l’augmentation spectaculaire du coût de l’énergie et l’essor de la finance. »
Il n’est pas invraisemblable d’imaginer que les antécédents historiques du « séisme » décrit par Ursprung puissent se trouver dans les conflits de classe qui agitaient le Paris du XIXe siècle et culminèrent avec la Commune. C’est là un rapprochement qui permet de resituer le contexte historique de la démarche peu orthodoxe de Matta-Clark, laquelle n’a fait l’objet jusqu’ici que d’une évaluation purement esthétique. Après tout, quand l’artiste perfore des immeubles et construit des barricades, il se pose en héritier de cette époque, adressant un clin d’œil à l’anarchiste Louis-Auguste Blanqui, dont le manuel Instructions pour une prise d’armes préconisait : « Lorsque sur le front de défense, une maison est plus particulièrement menacée, on démolit l’escalier du rez-de-chaussée, et l’on pratique des ouvertures dans les planchers des diverses chambres du premier étage, afin de tirer sur les soldats qui envahiraient le rez-de-chaussée. » En tant que précurseur de Nietzsche et de l’idée d’« éternel retour », Blanqui joue un rôle important dans le Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages qu’avait entrepris Walter Benjamin. Les quelques lignes que Benjamin consacre à Blanqui dans son « Exposé de 1939 » se terminent par ces mots : « Le siècle n’a pas su répondre aux nouvelles virtualités techniques par un ordre social nouveau », jugement qui pourrait aussi s’appliquer à l’époque de Matta-Clark. L’artiste était-il au fait des idées de Blanqui ? Que savait-il au juste des conflits qui avaient agité Paris au XIXe siècle ? Nous l’ignorons. Mais un bref témoignage de G.H. Hovagimyan, qui a assisté Matta-Clark lors de la création de Day’s End, souligne la dimension anarchico-protestataire de l’œuvre, disant qu’elle retrouvait « quelque chose des barricades révolutionnaires de la Commune de Paris dans l’empilement des planches qui obstruaient l’entrée. 


Sergio Bessa