Luigi Ghirri, Salzburg, 1977. Collection privée. Courtesy Matthew Marks Gallery © Succession Luigi Ghirri

Tout au long de cette décennie, Luigi Ghirri poursuit son questionnement sur l’acte de regarder et notre rapport aux images. Cadrant des personnes qui observent un paysage, un monument ou un itinéraire, il nous confronte à un regard toujours absent, celui du sujet photographié. Il renforce l’anonymat des personnes et leur existence en tant que silhouettes en les présentant le plus souvent de dos : « j’ai voulu leur donner un nombre infini d’identités possibles : de la mienne, tandis que je photographie, à celle de l’observateur. » Si le titre, Salzburg, permet de localiser l’endroit de la prise de vue, nous sommes confrontés en arrière-plan à la représentation conventionnelle d’un relief montagneux sous la forme d’une carte, accompagnée d’indications topographiques. Les personnes au premier plan, par les camaïeux de leurs vêtements et de leurs cheveux, semblent se fondre dans ce paysage « de carton » et n’exister plus qu’en tant qu’image. Luigi Ghirri rappelle ainsi que « l’homme photographié est toujours, de toute façon, une photographie ». Nous pouvons également y voir une référence à l’un de ses précédents projets « Atlas », datant de 1973. Le titre original en italien, « Atlante », renvoie aussi à un territoire fantasmé, disparu. Photographiant en macro certains détails des pages d’un ouvrage géographique, Ghirri va à l’encontre de la fonction première d’une carte, celle de se repérer, pour accentuer l’idée d’un voyage imaginaire à travers des images mentales, qui elles aussi, comme le regard des observateurs, peuvent échapper à la saisie photographique.


Cécile Tourneur

Archive magazine (2009 – 2021)

Un parcours commenté dans les images de Luigi Ghirri

Ève Lepaon et Cécile Tourneur, conférencières et formatrices au Jeu de Paume, proposent un aperçu du parcours commenté qu'elles réalisent dans l'exposition « Luigi Ghirri. Cartes et territoires » au Jeu de Paume.



Luigi Ghirri voyageait le plus souvent dans un mouchoir de poche, lors de brèves excursions à quelques kilomètres de chez lui, comme il l’écrit dans son essai « Paysages de carton » en 19731. Cette même année, il réduit le mur d’enceinte du circuit automobile de Modène et ses affiches publicitaires à un leporello (livre accordéon) intitulé Km 0,250. Puis il condense son trajet radicalement avec sa série désormais célèbre « Atlante », dans laquelle il explore les pages intérieures d’un atlas.


Néanmoins, il arrivait que Luigi Ghirri voyage “réellement” et rapporte quelques photographies d’ailleurs, loin de son Émilie-Romagne natale, comme le montrent les légendes des images commentées par Cécile Tourneur et Ève Lepaon [agrandir les images ci-dessus], conférencières et formatrices au Jeu de Paume. En général, il s’agissait de voyages de vacances, en Corse ou en Suisse par exemple, ou bien de déplacements professionnels à l’occasion d’expositions auxquelles il participait, notamment en Autriche, au Forum Stadtpark de Graz en 1976, puis à Salzburg lors d’une exposition collective consacrée à la jeune photographie européenne en 1978. Mais in fine Luigi Ghirri, par des jeux d’échelle, de duplication ou de recouvrements d’images, brouille les cartes géographiques et le lieu où il réalise la photographie passe au second plan. Les déplacements sont avant tout poétiques et s’opèrent entre plusieurs strates de réel, entre les choses et les images à travers et par lesquelles Luigi Ghirri inscrit le mouvement de sa pensée.




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1 Première publication in. Paolo Costantini, Giovanni Chiaramonte, Niente di Antico Sotto Il Sole [Rien d’ancien sous le soleil], Società Editrice Internazionale, Turin, 1997


« Luigi Ghirri. Cartes et territoires »
La sélection de la librairie
Dossier documentaire