Archive magazine (2009 – 2021)
Bernd Stiegler : Qu’est-ce que la photographie moderne ?
Walter Benjamin et sa critique d’Albert Renger-Patzsch.
DE
Il arrive qu’une critique se transforme en un verdict accablant et reste suspendue longtemps au-dessus de son objet comme une épée de Damoclès au point d’en déterminer par la suite la réception : tout avis ultérieur doit alors se déterminer par rapport à ce verdict. On trouve chez Walter Benjamin un des exemples les plus célèbres de ce phénomène à propos du photographe de la Nouvelle Objectivité Albert Renger-Patzsch dont l’œuvre est présentée ici dans une grande rétrospective. Même s’il est très probable que Benjamin n’était pas familier de l’œuvre de Renger-Patzsch, qu’il ne la connaissait peut-être même pas du tout, cette critique a connu rapidement une large diffusion et a valu à Renger-Patzsch une réputation à laquelle ses photographies n’échappent que difficilement. À l’inverse, Renger-Patzsch ne se réfère pas une seule fois, ni dans ses écrits, ni dans sa correspondance, au verdict de Benjamin, comme s’il n’en avait pas pris connaissance ou que, du moins, il n’en avait pas tenu compte.
Mais sur quoi porte exactement la critique de Benjamin ? Formulée au début en termes généraux, elle vise progressivement Albert Renger-Patzsch, plus exactement son livre intitulé Le Monde est beau qui incontestablement a fait époque. Celui-ci, comme le rappelle Renger-Patzsch, devait en fait s’intituler « Les Choses », mais son éditeur refusa, ne trouvant pas ce titre assez vendeur. À l’origine, la critique émise par Benjamin provient du sociologue, aujourd’hui oublié, Fritz Sternberg, mais c’est surtout grâce à sa reprise par Bertolt Brecht et précisément aussi grâce à la « Petite histoire de la photographie » de Benjamin, publiée en 1931, qu’elle a trouvé sa place dans la théorie de la photographie. Elle sert désormais de fil conducteur aux débats qui tournent autour de la critique de la société, du capitalisme et de la culture. « Ce qui complique encore la situation c’est que, moins que jamais, la simple “reproduction de la réalité” ne dit quoi que ce soit sur cette réalité. Une photographie des usines Krupp ou de l’A.E.G. ne nous apprend pratiquement rien sur ces institutions. La réalité proprement dite a glissé dans son contenu fonctionnel. »1 Pour le moment, il n’est pas encore question de Renger-Patzsch, mais les clichés des usines Krupp étaient probablement familiers aux contemporains de Brecht et l’allusion devait être claire, même si l’entreprise n’était pas nommée explicitement. Pendant des décennies, ce passage a été l’exemple le plus cité à l’appui d’une théorie critique de la photographie, on le retrouve même dans une interview vidéo réalisée avec Andreas Gursky.
Quand l’on dit que Brecht est l’auteur de cette sentence, on désigne par là en fait plutôt celui qui a contribué à sa diffusion. Brecht en effet se réfère de son côté – sans que l’on ait pu jusqu’à aujourd’hui trouver une source exacte – au sociologue Fritz Sternberg, dans un texte qu’il qualifie lui-même d’« expérience sociologique », plus exactement dans son Procès de l’Opéra de Quat’sous. Il écrivit ce texte à la suite d’un conflit juridique portant sur les droits d’auteur dans le cadre d’une possible adaptation cinématographique de l’Opéra de Quat’sous. C’est un texte qui opère in extenso un montage de citations extraites de la motivation de l’arrêt, mais aussi des réactions publiques parues dans la presse ainsi que de nombreux textes littéraires, etc. Selon Brecht, le recours au montage tout comme le caractère expérimental du texte constituent, d’un point de vue aussi bien formel que théorique, la tentative de renoncer dans la stratégie argumentative, que le texte poursuit néanmoins, à un point de vue objectif. Cette tentative qui « montre les antagonismes sociaux sans les résoudre »2 et qui par là entend faire la démonstration qu’à l’intérieur du « champ des antagonismes d’intérêt »3 un positionnement stratégique et en même temps absolument partial est nécessaire, découle de la constatation qu’une position objective n’est plus possible, qu’il faut bien au contraire trouver des formes méthodiques d’analyse et de représentation qui ressemblent à des « processus de pensée collective ».4 Il ne s’agit donc pas pour lui d’analyser la fonction sociale du droit et de la jurisprudence, ni d’effectuer une délicate distinction entre art progressiste et art rétrograde, mais de définir le nouveau statut d’un art qui ait mené une réflexion théorique sur ses propres présupposés et qui soit politiquement éclairé au sein du réseau d’intérêts et d’« intermédiaires toujours plus denses » qui modifie aussi l’attitude de celui qui écrit : il devient un « utilisateur de médias ». Le cinéma en particulier a une signification centrale pour la « transformation du fonctionnement de l’art » en « une discipline pédagogique »5, aussi et précisément parce que la représentation de la réalité est devenue problématique. C’est dans ce contexte que se trouve le passage en question (ici dans sa totalité) : « Ce qui complique encore la situation c’est que, moins que jamais, la simple “reproduction de la réalité” ne dit quoi que ce soit sur cette réalité. Une photographie des usines Krupp ou de l’A.E.G. ne nous apprend pratiquement rien sur ces institutions. La réalité proprement dite a glissé dans son contenu fonctionnel. La réification des relations humaines, par exemple à l’usine, ne permet plus de les restituer. Il faut donc effectivement “construire quelque chose”, “quelque chose d’artificiel”, “de posé”. L’art est donc tout aussi nécessaire. »6
La réponse de Brecht à la difficulté, que l’on pourrait appeler « objective », de trouver un point de vue objectif, c’est « l’expérience sociologique » en tant que tentative fonctionnelle de rendre visibles les contradictions dès la représentation, et d’obliger celle-ci à se faire montage et construction stratégique. Le jugement que porte Brecht sur la photographie ne vise nullement la photographie en tant que telle, mais concerne le problème de la représentation dans l’art, problème qui est illustré à partir d’elle sous la forme d’une métonymie. Theodor W. Adorno la reprendra dans sa « Lecture de Balzac » et la résumera par la belle formule selon laquelle « l’ens realissimum est fait de processus, et non de faits immédiats, qu’on ne peut pas copier. »7
La version longue de Brecht n’a paru qu’en janvier 1932 dans le troisième cahier des Essais ; la « Petite histoire de la photographie » de Walter Benjamin, quant à elle, dans laquelle Brecht est cité et dans laquelle également le verdict prend sa forme canonique, avait déjà paru, en trois livraisons entre le 18 septembre et le 2 octobre 1931 dans Die literariche Welt (Le Monde littéraire). Il est donc vraisemblable que Brecht avait parlé au préalable avec Benjamin de sa critique. Ce dernier cite Brecht comme s’il voulait souligner la signification particulière de la critique et en même temps se l’approprier avant même que le texte cité ait paru. Par ailleurs il insère la citation dans un autre contexte et avec un adversaire explicite : la citation, jusqu’à présent dépourvue de source identifiable, se trouve mise au service d’une stratégie dirigée contre la photographie de la Nouvelle Objectivité et vise Albert Renger-Patzsch en particulier : « La création, en photographie, est ce par quoi elle se trouve liée à la mode. “Le Monde est beau”, telle est exactement sa devise. En elle se démasque l’attitude d’une photographie qui peut donner à n’importe quelle boîte de conserve sa place dans l’univers, mais n’est pas capable de saisir une seule des relations humaines dans lesquelles elle intervient […] Mais puisque le vrai visage de cette création photographique est la réclame ou l’association, sa contrepartie légitime est la démystification ou la construction. La situation, dit Brecht, se complique parce que, moins que jamais, le simple fait de “rendre la réalité” ne dit quelque chose sur cette réalité. Une photo des usines Krupp ou de l’A.E.G. ne révèle presque rien de ces institutions. Il faut donc, en effet, “construire quelque chose”, quelque chose “d’artificiel”, quelque chose de “fabriqué”. »8
La photographie de la Nouvelle Objectivité n’est pour Benjamin qu’un fétiche : c’est une affirmation esthétisante de l’existant qui voit dans les images « créatrices » des « symboles de la vie ». Dans le tableau que dresse Benjamin, la photographie moderne trouve face à elle d’un côté Sander, Krull et Blossfeldt, de l’autre les surréalistes et le cinéma révolutionnaire russe. Tandis que les uns poursuivent des intérêts physiognomoniques, politiques ou scientifiques, il s’agit pour les autres d’une « construction photographique ». Entre les deux, il y a la photographie purement représentative, soi-disant créatrice, qui essaie de concilier nature et culture, technique et vie au moyen d’images dans lesquelles des correspondances formelles suggèrent une parenté intérieure, et qui se refuse à toute dimension constructiviste. Telle est aux yeux de Benjamin la position de Renger-Patzsch. Il ne devait pas être le seul à porter ce jugement : les positions célébrées avec emphase par Benjamin, dont l’ambigüité (également politique) ne devait apparaître que bien plus tard, ont été canonisées. En revanche, Renger-Patzsch fit l’objet d’une condamnation, et ce durant des décennies, lui qui, au sein du trio des photographes de la Nouvelle Objectivité, devait du point de vue historique, politique et théorique faire figure de perdant face à Sander et à Blossfeldt. Renger-Patzsch ne fut pas un lucky looser qui, en dernière instance, finit par triompher ; dès le début, il a été considéré comme un vestige historique et politique.
Walter Benjamin a continué de creuser le fossé prétendument infranchissable qui le sépare d’Albert Renger-Patzsch en visant encore plus explicitement ce dernier en ayant recours à un autre endroit à la citation de Sternberg. Dans son essai « L’auteur comme producteur », Benjamin écrit : « Mais continuez donc à suivre le cheminement de la photographie. Qu’apercevez-vous ? Elle devient de plus en plus nuancée, de plus en plus moderne et il en résulte qu’elle ne peut plus photographier de caserne locative ou de tas d’ordures sans les transfigurer. À plus forte raison ne pourrait-elle, devant un barrage ou une fabrique de câbles, en dire plus que : le monde est beau. « Le Monde est beau », tel est le titre du livre d’images bien connu de Renger-Patzsch, où nous voyons la photographie de la Nouvelle Objectivité à son sommet. Elle a en effet réussi à faire de la misère elle-même, en la concevant avec les perfectionnements à la mode, un objet de plaisir. »9
Les choses sont clairement dites : la photographie de la technique de Renger-Patzsch est une pure esthétisation de ce qui est représenté, sa transfiguration esthétique. Aux yeux de Benjamin la photographie de la Nouvelle Objectivité prolonge l’auratisation de l’objet que les pictorialistes, qu’il ne se lasse pas de critiquer, avaient à l’esprit. Par là, elle représente un programme résolument antimoderniste. La formule est assez claire : la mimésis et l’art font partie de la culture bourgeoise, la construction et l’information font partie de la modernité. Telle est la réponse de Benjamin aux « questions philosophiques » que « posent l’ascension et le déclin de la photographie » et pour lesquelles il cherche une réponse dans sa « Petite histoire de la photographie. »10
Ainsi, le verdict prononcé contre les travaux de Renger-Patzsch se précise. Ce dernier est le représentant d’une photographie qui traite son objet, la technique, de façon esthétisante et formelle. Sa position spécifique ne compte guère. Il est un symbole, surtout en raison du titre Le Monde est beau. La preuve en est que, à part les remarques déjà citées qui entrent peu dans le détail et une mention accessoire dans une sorte de classification de la Nouvelle Objectivité, on ne trouve dans l’ensemble de l’œuvre de Benjamin pas une seule autre référence au photographe. Mais ce qui importe à Benjamin, c’est moins de livrer une appréciation critique de l’œuvre ni même une interprétation subtile que bien plus de marquer des limites théoriques : Renger-Patzsch représente une zone interdite de la photographie moderne et par conséquent la démarcation se fait clairement. La question de Benjamin est simple : qu’est-ce qu’une photographie moderne ?
Benjamin fait la distinction entre un « bon » et un « mauvais » montage, entre une photographie moderne et une photographie antimoderne. D’un côté, il y a des photomonteurs comme John Heartfield qui est cité comme exemple d’un montage qui vise à démystifier, de l’autre côté, précisément Renger-Patzsch qui, certes, n’a pas travaillé une seule fois dans toute son œuvre avec la technique du photomontage, mais qui est présenté ici au moyen de l’idée expérimentale d’une boîte de conserve qui trouve sa place dans le cosmos. Au montage qui est lié à un contexte historique précis et dont le but premier est de démystifier est opposée une transposition globale qui, exempte de toute référence historique, décontextualise des artefacts technico-industriels et leur retire toute assignation historique. Ce qui est montré n’a pour fonction que d’être beau.
Dans ce que l’on appelle la « Deuxième lettre de Paris », Benjamin reprend une troisième fois sa critique en y ajoutant une autre dimension : « Ils [les surréalistes, L.C.] ont commis la même erreur que ceux des photographes qui font de la photographie appliquée, et dont le credo conformiste s’exprime dans le titre que Renger-Patzsch a donné à son célèbre recueil de photos. Die Welt ist schön [Le Monde est beau]. Ils n’ont pas su reconnaître la force d’impact social de la photographie, et n’ont pas compris l’importance du titre ou du texte qui accompagne les photos et provoque l’étincelle critique propre à un montage photographique ou à une série d’images (ce dont Heartfield nous donne le meilleur exemple). »11
Sous forme fortement abrégée et, comme souvent chez lui, quelque peu énigmatique, Benjamin relie ici trois aspects différents :
Premièrement ce qui compte pour lui, une fois de plus, c’est l’importance de la lisibilité qui se trouve au centre de ses réflexions sur la photographie, son histoire et les questions philosophiques qui lui sont attachées. Pour le dire en une formule : pour pouvoir comprendre la photographie du 19e siècle, on a besoin du récit, de la tradition, c’est-à-dire de la durée ; pour pouvoir comprendre la photographie de la modernité, on a besoin par contre de la légende qui accompagne la photo, de l’information, c’est-à-dire de l’instant historique, du présent.
Deuxièmement, Benjamin relève un changement de fonction de la photographie. Comme, à l’époque de la modernité, la photographie ne vise plus la durée, elle se voit attribuer un nouveau rôle. Elle apparaît dans des contextes où elle fait l’objet d’une utilisation immédiate (par exemple dans les magazines), d’une exploitation hautement pratique parce que fonctionnelle. En même temps, la photographie a besoin d’une explication car sinon elle reste muette et perd sa valeur d’information. Une photographie qui, dans la conception de Benjamin, a une visée politique et critique est nécessairement liée à des textes.
Troisièmement, l’utilisation de l’écriture dans la photographie est autant symptôme que conséquence de l’aliénation qu’il s’agit de constater. Benjamin illustre cette idée à partir de l’exemple d’Atget dont on a dit qu’il photographiait les rues de Paris comme on photographie le lieu d’un crime : « Le lieu du crime lui aussi est désert. Le cliché qu’on en prend a pour but de relever des indices. Chez Atget, les photographies commencent à devenir les pièces à conviction pour le procès de l’histoire. »12 Si la photographie veut se faire indice – et c’est ce qu’elle doit faire pour Benjamin –, ce qui est montré doit être pourvu de la façon la plus précise possible d’informations concernant le moment où le cliché a été pris ainsi que le contexte sociohistorique. La photographie à elle seule ne suffit pas parce qu’elle n’est pas assez parlante. Une photo peut certes dire plus que mille mots, mais elle le fait de façon très imprécise, comme le montrent de nombreux exemples tirés de l’Histoire. Ce n’est que lorsqu’on ajoute du texte que l’on peut après coup lire l’Histoire à partir d’images. Ces dernières témoignent surtout de la disparition de l’Homme car, comme le veut l’interprétation que fait Benjamin d’Atget : les photographies montrent des lieux déserts. L’aliénation s’est faite photographie, s’est cristallisée dans des clichés, mais on peut la situer précisément sur l’axe temporel.
Pour résumer : Benjamin essaie dans son interprétation de la modernité de penser systématiquement la photographie dans la perspective de l’historicité et de l’actualité. Tandis que les formes transmises par la tradition et surtout celles du récit visaient encore la durée, c’est l’instant et l’utilisation immédiatement politique et critique des photographies qui importent à présent. Dans l’interprétation de Benjamin, Renger-Patzsch est celui qui, à l’inverse, choisit encore l’option de la durée et ce en pleine accélération de la modernité. À ses yeux, c’est un photographe à la fois moderne et parfaitement antimoderne.
On retrouve la critique de Brecht et de Benjamin chez Alexander Kluge où elle apparaît dans la problématique globale du réalisme : « Le montage, écrit Kluge, est une théorie du contexte. Quand je fais un film, je suis toujours confronté à cette difficulté que ce que je peux voir ne contient pas le contexte. À propos du réalisme, Brecht dit : à quoi sert la vue extérieure d’une usine AEG si je ne vois pas tout ce qui se passe à l’intérieur du bâtiment en fait de relations, de travail salarié et de capital, de connexions internationales, une photographie de l’usine AEG ne dit rien de l’AEG en elle-même. En ce sens, comme le dit Brecht, la plupart des véritables relations sont tombées dans la fonctionnalité. C’est le cœur de la question du réalisme. Si je définis le réalisme comme connaissance des contextes, alors il me faut mettre un symbole à la place de ce que je ne peux pas montrer dans le film, de ce que la caméra ne peut enregistrer. Ce symbole, c’est le contraste entre deux plans, qui est aussi synonyme du montage. Il s’agit donc des relations concrètes entre deux images. C’est parce qu’entre deux images naît une relation et que le mouvement (ce que l’on appelle la dimension cinématographique) se situe entre deux images, que l’information, qui ne serait même pas contenue dans le plan réel enregistré, réside dans cette coupure. C’est-à-dire que le montage a affaire à quelque chose de très différent d’un film qui n’est fait que d’un matériau brut. »13
Albert Renger-Patzsch apparaît ici une fois encore comme un photographe qui passe à côté de la modernité du fait même qu’il se concentre sur ses emblèmes : les aciéries et les usines, les constructions mécaniques et les artefacts industriels. Mais grâce à l’exposition du Jeu de Paume on peut découvrir un photographe qui s’est consacré radicalement à la modernité sans oublier toutefois ses ambigüités. Comme nul autre photographe, il essaie de trouver et de développer un langage photographique qui soit exempt de toute emprise politique et qui, bien au contraire, cherche des formes et des structures qui sont devenues les images emblématiques d’une époque. Le réalisme photographique de Renger-Patzsch vise à produire des images de la modernité avec toutes leurs ambiguïtés. Cela comprend aussi l’oscillation entre le document et la composition, entre l’instant et la durée, que Renger-Patzsch explore avec constance. La modernité est chez lui transposée en images pour ainsi dire intemporelles, surtout parce que cela faisait précisément partie du programme moderniste. L’Histoire devait prendre un nouveau départ. Ce faisant, Renger-Patzsch s’avère être moins un critique qu’un archiviste et c’est précisément pour cela qu’il doit être ici redécouvert comme un des photographes les plus modernes de la Nouvelle Objectivité. On n’attendra pas de lui une analyse critique des usines Krupp, mais un inventaire de ce qui caractérisait, à son époque, la modernité. Ce n’est pas son moindre mérite que d’avoir fixé cette modernité sur des photographies qui, rétrospectivement, permettent de lire une époque.
Bernd Stiegler, 2017
Traduit de l’allemand par Laurent Cassagnau
Visuel en page d’accueil : Albert Renger-Patzsch. Ritzel und Zahnräder,
Lindener Eisen und Stahlwerke [Pignons et roues dentées, usine Lindener Eisen und Stahlwerke], 1927. Albert Renger-Patzsch Archiv / Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Pinakothek der Moderne, Munich © Albert Renger-Patzsch / Archiv Ann und Jürgen Wilde, Zülpich / ADAGP, Paris 2017
Bernd-Alexander Stiegler est né en 1964. Il a étudié la littérature et la philosophie à Tübingen, Münich, à Paris auprès de Jacques Derrida, puis à Berlin et Fribourg. Après son habilitation en 2000, il a dirigé la collection de sciences humaines aux éditions Surkhamp. il est aujourd’hui professeur de littérature allemande moderne et d’histoire et théorie des médias, à l’Université de Constance. Ses recherches se concentrent sur l’histoire et la théorie de la photographie au 19e et 20e siècle. Il travaille également sur la Culture visuelle et la théorie des images et de la visualité.
Exposition « Albert Renger-Patzsch. Les choses »
La sélection de la librairie
Table ronde “Il est inconcevable d’imaginer la vie moderne sans la photographie”
1 Bertolt Brecht, « Le procès de l’Opéra de Quat’sous. Expérience sociologique », in B. Brecht, Sur le cinéma, trad. Jean-Louis Lebrave et Jean-Pierre Lefebvre, Paris, L’Arche, 1970, p. 148-216, ici p. 171.
2 Ibid., p. 220.
3 Ibid.
4 Ibid., p. 221.
5 Ibid., p. 167.
6 Ibid., p. 171.
7 Theodor W. Adorno, « Lecture de Balzac », in Th. W. Adorno, Notes sur la littérature, trad. Sibylle Muller, Paris, Flammarion, 1984, p.83-100, ici p. 91.
8 Walter Benjamin, « Petite histoire de la photographie », traduction de Maurice de Gandillac revue par Pierre Rusch, in W. Benjamin, Œuvres II, Paris Gallimard/Folio essais, p. 295-321, ici p. 318.
9 Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur » in W. Benjamin, Essais sur Brecht, trad. Philippe Ivernel, La Fabrique, Paris, 2003, p. 122-144, ici p. 133-134.
10 Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur » in W. Benjamin, Essais sur Brecht, trad. Philippe Ivernel, La Fabrique, Paris, 2003, p. 122-144, ici p. 133-134.
11 Walter Benjamin, « Photographie et peinture », trad. Marc B. de Launay, in W. Benjamin, Sur l’art et la photographie, Paris, Editions Carré, 1997, p. 75-94, ici p. 89-90.
12 Walter Benjamin, « L‘œuvre d’art à l’époque à l’époque de sa reproduction mécanisée », in W. Benjamin, Sur la photographie, trad. Jörn Cambreleng, Maurice de Gandillac et Pierre Rusch, Arles, Photosynthèses, 2012, p. 160-204, ici p. 173.
13 Klaus Eder/ Alexander Kluge, Ulmer Dramaturgien. Reibungsverluste. Stichwort: Bestandsaufnahme [Dramaturgies d’Ulm. Pertes par frottement. Mot–clé: inventaire], Munich/ Vienne, 1980, p. 98 sq.