Photographie de tournage, Ode au mont Hayachine
© Kanatasha Inc.

Cycle de cinéma

Prendre soin - Autour des films de Haneda Sumiko

Projections, rencontres et débats


« (…) chaque nouvelle entreprise est un début, une quête constante ; à chaque fois, un nouvel apprentissage. Je me laisse guider par les émotions. J’aborde mes sujets avec la même sollicitude, les objets comme les êtres. Tout a de l’importance. L’intérêt majeur est de trouver l’âme de mes sujets. Après plus de 80 films, restent toujours deux difficultés : l’une d’ordre mental, qui entoure tout processus de création et les problèmes d’éthique qui s’y rattachent ; l’autre d’ordre technique, c’est-à-dire les conditions de production et distribution ». Haneda Sumiko (1987)

Née en 1926, la documentariste japonaise Haneda Sumiko est l’autrice d’une vaste production. Comptant parmi les rares femmes à avoir travaillé pendant plusieurs décennies comme réalisatrices dans un pays qui les cantonna longtemps à d’autres rôles, Haneda a commencé sa carrière chez Iwanami Productions. Créée en 1950, cette société réalise des documentaires institutionnels, éducatifs et scientifiques. Plusieurs noms importants du cinéma japonais y font leurs débuts : Hani Susumu, Ogawa Shinsuke, Tsuchimoto Noriaki, ou encore la réalisatrice Tokieda Toshie. Haneda tourne pour Iwanami des dizaines de documentaires, parmi lesquels École des femmes dans un village (1957), Les Papillons du chou et leurs comportements : observation expérimentale (1968), ou encore Univers de la démence sénile (1986). Ce dernier film, qui se déroule dans une maison de retraite, suscite alors au Japon de vifs débats sur le soin et l’accompagnement des personnes âgées dans la société.

Le cerisier à fleurs grises (1977) signe le début de la carrière de Haneda en tant que cinéaste indépendante. Ce film constitue aussi pour elle l’occasion de s’essayer à des formes plus expérimentales. La fondation de sa propre société, en 1981, lui permet de confirmer cet engagement marqué par l’exceptionnel Ode au mont Hayachine (1982). Akiko, portrait d’une danseuse (1987) soulève quant à lui des questions sur le vieillissement mais aussi sur le non-conformisme des femmes qui choisissent la voie de la création. Haneda participera à la création du Festival international du film de femmes de Tokyo (1985-2012), le premier de ce genre au Japon. Sa sensibilité et son intérêt évidents pour les figures et la parole des femmes sont illustrés par Témoignages de femmes : pionnières dans le mouvement ouvrier au Japon (1996). Enfin, vers la fin de sa carrière, elle tourne deux films sur les colons japonais en Mandchourie, où elle est née.

Cherchant à établir des dialogues, ce cycle de projections fait converser ces quelques films de Haneda avec les productions d’autres cinéastes comme Hani Susumu et Tokieda Toshie, le documentariste Satō Makoto, les réalisatrices Marianne Ahrne et Megan Rossman, ou encore Elke Marhöfer. Si le travail de cette dernière témoigne d’une sensibilité aux lieux, au non humain et à la nature qui trouve dans la démarche de Haneda Sumiko une matrice inspirante, les films d’Ahrne et de Rossman permettent d’élargir les lectures possibles du travail de la réalisatrice japonaise, en le replaçant dans une perspective féministe.

Enfin, chaque séance donnera lieu à des interventions de spécialistes de différents domaines, tels que le documentaire japonais, l’écoféminisme, l’histoire de la danse, la société et l’éthique du care, la sensibilité à la nature et l’histoire des mouvements féministes au Japon.

les films de Haneda Sumiko

• Mura no fujin gakkyu | L’école des femmes d’un village
Haneda Sumiko, Japon, 1957, 35 mm (numérique), noir et blanc, 25 min vo st ang
La première œuvre de Haneda est un film de commande, réalisé dans le but de promouvoir l’éducation des femmes dans le Japon rural. La cinéaste passe plusieurs semaines dans le village de Iwane, travaillant avec des femmes dont le groupe de discussion sur les difficultés de la maternité devient l’objet du film. « À mon avis, explique Haneda, lorsqu’on tourne un film avec les habitants d’un lieu particulier, il ne faut pas oublier qu’on est en train de construire une relation à vie. »

• Monshirocho: Kodo no jikken teki kansatsu | Papillons du chou et leurs comportements : observation expérimentale
Haneda Sumiko, Japon, 1968, 16 mm, couleur, 27 min, vo st fr
Avec la complicité du département scientifique d’Iwanami Productions, Haneda Sumiko, inspirée par les travaux de l’éthologue Konrad Lorenz, consacre trois ans de tournage à ce film. Afin de codifier le comportement des piérides du chou dans leur habitat naturel, mais aussi de renouveler le langage du cinéma scientifique, l’équipe de Haneda a élevé des larves de papillon et mis en place diverses expériences. Le résultat est un film original, empreint d’affection pour les sujets filmés.

• Usuzumi no sakura | Le cerisier à fleurs grises
Haneda Sumiko, Japon, 1977, 16 mm, couleur, 42 min, vo st ang
L’idée de ce film remonte à 1969, lorsque Haneda a découvert, dans la préfecture de Gifu, un cerisier vieux de 1300 ans. Hantée par la majestuosité de cet arbre, elle songe alors : « Avec cet arbre, et cet arbre seulement, je pourrai faire un film. » Le projet ne prendra forme qu’en 1972, après le décès de son unique sœur. Le film est une méditation poétique sur le deuil et la mémoire, guidée par une voix off féminine et ponctuée par les apparitions fantomatiques d’une adolescente.

• Hayachine no fu | Ode au mont Hayachine
Haneda Sumiko, Japon, 1982, 16 mm, couleur, 184 min, vo st ang
Pendant de nombreuses années, Haneda a poursuivi l’idée de réaliser un film sur les danses masquées du sanctuaire de Hayachine, une forme de danse rituelle pratiquée depuis plusieurs siècles en secret par des villageois qui en assurent aujourd’hui encore la sauvegarde. En suivant deux troupes de danseurs et de musiciens, le film dresse un tableau complexe de la vie de ces communautés rurales, à la croisée entre tradition et modernité, archaïsme et renouvellement.

• Chihosei rojin no sekai | Univers de la démence sénile
Haneda Sumiko, Japon, 1986, 16 mm, couleur, 84 min, vo st fr
Tourné dans une maison de retraite sur une période de deux ans, ce film pose la question du « comment prendre soin ». La réalisatrice filme avec beaucoup de tendresse, non seulement le quotidien de patients atteints de démence sénile, mais aussi le travail des soignants. Dans une scène marquante, une femme malade quitte l’hôpital pour rendre visite à une amie imaginaire, accompagnée d’un infirmier. Amplement diffusé, le film suscita de vifs débats sur la société du soin et de l’accompagnement au Japon.

• Akiko aru dansa no shozo | Akiko, portrait d’une danseuse
Haneda Sumiko, Japon, 1987, 16 mm, couleur, 107 min, vo st ang
Akiko est le portrait de la danseuse et chorégraphe Kanda Akiko. Cette ancienne élève de Martha Graham, qui défia les conventions sociales afin de poursuivre sa carrière, approche alors la cinquantaine. Dans son film, Haneda confronte la figure publique de la danseuse, marquée par sa détermination implacable, avec un portrait à la fois intime et intimiste. Presque trente ans plus tard, elle consacrera un autre film à Akiko (Et puis Akiko est… Un portrait de danseuse), documentant la dernière année de sa vie avant qu’elle ne décède d’un cancer.

• Onnatachi no shōgen: Rōdō undō no naka no senkuteki joseitachi | Témoignages de femmes : pionnières dans le mouvement ouvrier au Japon
Haneda Sumiko, Japon, 1996, 16 mm (numérique), couleur, 94 min, vo st fr
En 1982, le chercheur socialiste Ishidō Kiyotomo organise une table ronde avec des militantes ayant participé à l’essor du mouvement syndical, de l’ère Taishō (1912-1925) à l’ère Shōwa (1926-1989). À sa demande, Haneda enregistre cette réunion. Stimulée par son désir de « préserver l’histoire de ces femmes », la réalisatrice ajoute à l’enregistrement des séquences complémentaires. Dans le film, la discrimination et la domination subies par ces militantes sont racontées à la première personne.

autres films

• Kyōshitsu no kodomotachi | Les enfants dans la classe
Hani Susumu, Japon, 1954, 35 mm, noir et blanc, 30 min, vo st ang

Les enfants dans la classe a été tourné par Hani Susumu dans une école primaire. Sa méthode inédite anticipe les principes du cinéma-vérité et met de côté le scénario, abandonnant cette base de tournage antérieure aux prises de vue. Ainsi transforme-t-elle un film initialement pensé comme une étude sur la façon de discipliner des enfants turbulents en un portrait poignant. Dans les années 1960, Hani s’affirme comme l’un des plus importants représentants de la nouvelle vague japonaise.

• Machi no seiji – Benkyo suru okaasan | Politiques d’une ville, l’apprentissage des mères
Tokieda Toshie, Japon, 1957, 35 mm (numérique), noir et blanc, 31 min, vo st ang
Avec Haneda Sumiko, Tokieda Toshie est l’une des rares femmes à avoir tourné des films documentaires au Japon pendant plusieurs décennies. À l’instar de sa consœur, elle commence sa carrière chez Iwanami Productions. Dans son premier film, Tokieda s’intéresse à un groupe de femmes (les « mères ») qui s’impliquent dans la vie politique locale. Elle expliquait dans un entretien que son manque d’expérience lui avait sans doute valu le poste de réalisatrice sur ce film, Iwanami cherchant un regard original.

• Otentosama ga hoshii | Je veux le soleil
Satō Makoto, Japon, 1995, 16 mm (numérique), couleur, 47 min, vo st fr
Au moment où Sho Watanabe s’apprête à profiter de sa retraite, sa femme Tomiko présente les premiers signes d’Alzheimer. Sho décide alors de la filmer. Le documentariste Satō Makoto a structuré et monté les images tournées par Sho, donnant une forme à cet exercice poignant sur le soin et l’intimité. L’exposition des images à la lumière du soleil évoque l’amour tendre de Sho pour Tomiko. Le film résume parfaitement la philosophie de Satō, selon laquelle « les films naissent dans la salle de montage ».

• prendas – ngangas – enquisos – machines {each part welcomes the other without saying}
Elke Marhöfer, Cuba, 2014, 16 mm (numérique), couleur, son, 25 min

• Becoming Extinct (Wild Grass)
Elke Marhöfer, Russie, 2017, 16 mm (numérique), couleur, son, 23 min

• Shape Shifting
Elke Marhöfer et Mikhail Lylov, 2015, Japon, 16 mm (numérique), couleur, son, 18 min
Presque toujours tournés avec une caméra 16 mm portée à la main, les films d’Elke Marhöfer s’intéressent aux communautés écologiques formées par les humains et le non-humain. Reliant ces derniers au post-colonial, prendas – ngangas – enquisos – machines {each part welcomes the other without saying} explore la façon dont la nature évoque des témoignages d’événements passés et actuels. Filmé dans les steppes russes, Becoming Extinct (Wild Grass) est une incursion dans les systèmes écologiques suscités par l’extinction des espèces et la survie collaborative. Tourné au Japon avec Mikhail Lylov, Shape Shifting se concentre plus spécifiquement sur le satoyama, zone de frontière entre les lieux habités (sato) et la montagne (yama).

• Promenad i de Gamlas Lad | Promenade au pays de la vieillesse
Marianne Ahrne, Suède, 1974, 16 mm (numérique), couleur, 76 min, version française str suédois.
Dans La vieillesse (1970), Simone de Beauvoir observe que celle-ci est entourée d’une conspiration du silence. À travers les portraits de pensionnaires d’hospices, d’ouvriers, d’intellectuels et d’artistes, les voix des personnes âgées s’élèvent pour rompre ce silence, avec, en fil conducteur, les commentaires de Simone de Beauvoir. « Assez souvent, et c’est cela la beauté du genre documentaire, les personnes qui avaient quelque chose à dire étaient simultanément celles que l’on n’écoutait jamais. » (Marianne Ahrne)

• Naomi Replansky at 100
Megan Rossman, États-Unis, 2020, HD 2k, couleur, 6 min, version anglaise
Devant la caméra de la documentariste Meghan Rossman, la célèbre poétesse Naomi Replansly lit des extraits de son œuvre et évoque son écriture et sa vie alors qu’elle vient d’atteindre les cent ans.

La maison Chanel a choisi d’apporter son soutien à l’événement

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