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Futurs d'avant

Création en ligne

FUTURS D’AVANT.

Un projet en ligne avec des œuvres de Letícia Ramos et Marguerite Humeau

Du 21 octobre 2020 au 31 janvier 2021

Jeu de Paume – en ligne

En ces premières décennies du XXIe siècle, les bouleversements climatiques et politiques viennent frapper à notre porte : se manifestant dans leur pleine évidence avec la pandémie de la Covid-19, ils nous amènent à questionner notre mode d’existence au sein d’une société qui met en danger sa propre survie en n’envisageant que des projets à court et moyen termes. Confronté à des scénarii aussi angoissants qu’obscurs, l’art d’aujourd’hui s’en fait parfois l’écho, et ce de manière inattendue, les artistes étant en mesure, dans la quête constante qui les mène à imaginer ce qui est encore inconnu, de nous apprendre à accepter l’incertitude. Le genre littéraire de la science-fiction vient nous rappeler que nous disposons de la faculté d’inventer d’autres perspectives futures. Si l’avenir est une fiction, une projection ou, mieux, une construction mentale, quels récits voudrions-nous projeter pour pouvoir imaginer un avenir offrant davantage d’attraitsque l’incertitude dans laquelle est plongée notre situation présente. L’art pourrait-il nous aider à les concevoir ? Et comment ?

Dans un essai datant de 1986 et intitulé « Le fourre-tout de la fiction, une hypothèse », l’autrice de science-fiction Ursula K. Le Guin discute le récit rabâché de l’évolution de l’humanité, expliquant que, désormais femme « plus toute jeune », elle n’éprouve aucune sympathie pour la figure héroïque du « chasseur de mammouth ». Il existe cependant, poursuit-elle, un récit recevable par elle et toutes les personnes exclues du mythe de la bravoure : du paléolithique jusqu’aux temps préhistoriques, l’être humain se nourrissait essentiellement de ce qu’il recueillait dans la nature (plantes, graines, petits animaux, etc.), non de viande provenant de proies imposantes qu’il fallait chasser. Aussi Le Guin pose-t-elle la question : pourquoi n’admettons-nous pas une autre histoire ? Une histoire qui raconterait l’invention du sac, du récipient, du panier et du bol, tous objets satisfaisant aux besoins fondamentaux du transport et de la conservation de la nourriture ? Elle risque toutefois de ne pas être aussi passionnante et motivante que le récit masculin du chasseur aventureux. Le Guin s’est attachée àécrire des romans de science-fiction dont la forme et le fonctionnement seraient comparable à une « besace », des romans qui contiennent non seulement le mythe du héros audacieux, mais également des « commencements sans fins […], des vaisseaux spatiaux en panne, des missions qui échouent […], avec bien plus de tours de passe-passe que de conflits, moins de triomphes que de pièges et de leurres […] Enfin, on voit bien que le Héros n’est pas à son avantage dans ce “sac”. Il lui faut une estrade, un piédestal, un pinacle. Si on le fourre dans un sac, il a tout à coup des allures de lapin ou de pomme de terre. »

Avec la science-fiction et la fiction spéculative, il nous est loisible d’imaginer plus librement des futurs, sans nous investir dans aucune projection en particulier. Il convient toutefois d’admettre que les classiques du genre, dans leur grande majorité, reproduisent à l’identique les structures de pouvoir telles qu’elles existent dans nos sociétés actuelles. Ces récits sont axés sur l’homme qui explore, tandis que les femmes et les personnes de couleur sont reléguées aux seconds rôles ; celles-ci ne bâtissent pas de nouvelles cosmologies ni n’élaborent les technologies. La science-fiction écrite par d’autres voix, multiples, offrirait l’occasion d’imaginer des mondes futurs différents, qui ne reproduiraient pas les écueils structurels dans lesquels nous nous retrouvons piégés aujourd’hui. Dans sa série de romans Paraboles, par exemple, Octavia Butler articule un contre-discours provocateur, qui alimente une réflexion critique sur l’actuelle exploration de l’espace à des fins commerciales, que prônent notamment des milliardaires capitalistes comme Elon Musk ou Jeff Bezos, les héroïques « chasseurs de mammouths » de notre temps. La mission spatiale de Butler repose sur un rêve collectif si extrêmequ’il ne peut être que projeté dans l’espace.

Quelle forme de construction du monde souhaiterions-nous faire progresser ? Si l’avenir demeure une fiction, alors il nous laisse encore une latitude pour créer d’autres mondes. Dans leur recherche de pistes pour penser l’avenir, les artistes qui poursuivent ce genre de réflexions à propos de la science-fiction ne délaissent pas le passé. Ils considèrent en effet la technologie comme un outil permettant de conserver un savoir ancestral et imaginer des réalités alternatives.

 aarea

Fondé en 2017 par les commissaires d’exposition Livia Benedetti et Marcela Vieira, www.aarea.co  est une plateforme en ligne passant commande d’œuvres destinées spécifiquement à internet. Chaque édition propose un projet original réalisé par un artiste ayant accepté de créer une œuvre dont l’unique vecteur est l’internet ‒ une expérience le plus souvent inédite pour ces créateurs. Le domaine d’activité d’aarea ne se limite pas à son site web, mais accueille en partenariat avec d’autres institutions des projets d’exposition, séminaires et conférences.