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Torchon noir, grille 2011 Julieta Hanono

Cours & Conférences

"L’Image témoin : l’après-coup du réel" / 10

"Les “desaparecidos” d’Argentine : sacralisation et profanation", avec Julieta Hanono et Emmanuel Alloa

Jeu de Paume - Paris

> « Les desaparecidos d’Argentine : sacralisation et profanation »
Dernière séance du séminaire avec Julieta Hanono, artiste, et Emmanuel Alloa, philosophe.

Durant la dictature militaire argentine entre 1976 et 1983, 30 000 personnes ont été victimes de disparitions forcées. Contrairement aux opposants fusillés, les « desaparecidos » furent exécutés sans laisser de trace : après avoir été détenus et torturés dans des prisons clandestines disséminées à travers le pays, on les liquida en général en les droguant et les jetant depuis des avions dans la mer ou dans le Río de la Plata. Les « desaparecidos » sont donc doublement des disparus : en effaçant les traces de leur effacement, on leur refuse jusqu’à la possibilité même d’une sépulture et aux familles d’entreprendre un travail de deuil. Comment restituer une visibilité à ces vies soustraites à la possibilité même de la représentation ? Un individu peut-il sortir de la « disparition » ?
L’Argentine actuelle est tiraillée entre une politique mémorielle officielle qui sanctuarise une mémoire symbolique, purifiée, et d’autres pratiques artistiques plus singulières, qui visent au contraire à montrer comment le passé empiète en permanence sur le présent, de même que pendant la dictature, les « disparus » existaient, invisibles, à côté ou sous les pieds des vivants. Julieta Hanono, artiste plasticienne et ancienne « desaparecida » de la prison secrète installée à l’intérieur même de la préfecture de police de Rosario, interroge dans ses œuvres la logique du confinement et tout ce qui s’y oppose, c’est-à-dire tous les gestes quotidiens et profanes qui lui permirent, tout au long de sa détention, de garder un lien avec la vie. Aujourd’hui, c’est une autre disparition qui guette : celle des traces matérielles de la détention, pour faire place à des mémoriaux et des musées fixant une mémoire officielle. Face à cette autre « sacralisation », que serait une mémoire profane, quotidienne, créatrice ?

Julieta Hanono est artiste plasticienne. Née à Buenos Aires, elle a fait des études d’arts plastiques et de philosophie à l’Université de Rosario. Depuis 1990, elle vit à Paris. En 2004, elle est retournée à Rosario filmer El pozo, un work in progress dont le point de départ a été une vidéo et une performance où l’artiste retourne dans les lieux où elle avait été enfermée pendant 13 mois, à l’âge de 16 ans, durant la dictature militaire en Argentine. Ses œuvres ont fait l’objet de plusieurs expositions en Amérique Latine et ont été montrées à Paris aux galeries Mor.Charpentier et Yvon Lambert.

Le vendredi 25 octobre à 18 h 30,
à l’auditorium du Jeu de Paume.
Entrée : 3 euros / Gratuite sur présentation du billet d’entrée
aux expositions (valable uniquement le jour même)
et pour les abonnés du Jeu de Paume.

Voir les vidéos des séances précédentes sur le magazine

> « L’Image témoin : l’après-coup du réel », séminaire en 10 séances sous la direction d’Emmanuel Alloa, philosophe, en collaboration avec le département d’Arts Plastiques de l’Université Paris 8.

Dans La Chambre Claire, Roland Barthes affirmait que le « noème » de la photographie, c’est son « ça a été », autrement dit le fait que la plaque photosensible garde la trace ineffaçable d’un événement. De façon analogue, on pourrait dire que le « noème » du témoin, c’est son « avoir été là », autrement dit le fait que le témoin fut présent au moment fatidique. Et pourtant, le témoin ne deviendra réellement témoin qu’à rebours, une fois qu’il se porte témoin d’une expérience irrémédiablement passée et qu’il redonne voix à ce qui n’est plus par l’après-coup de son témoignage. Face à la violence extrême qui marque le XXe siècle, qu’est-ce que cela signifie que de penser les images qui, tant de fois, enregistrèrent les actes de barbarie, non pas tant comme des documentations de faits objectifs, mais comme des réarticulations testimoniales qui ne se limitent pas à répéter le passé mais qui le produisent tout autant, de façon performative ?

Façon de repenser la question de la limite du représentable, face au génocide. Tout génocide se caractérise par le déni de son caractère génocidaire : à l’anéantissement total s’ajoute l’anéantissement total des traces de l’anéantissement. Le séminaire affrontera la question de l’irreprésentable à travers ce que nous nommerons « l’éthique testimoniale » : à l’instar du témoin, l’image ne pourra jamais restituer la totalité des faits et ce qu’elle montre ne démontrera jamais rien. Dans sa partialité et son imperfection constitutive, elle conteste malgré tout la logique totalitaire qui peut prendre deux visages : la surexposition pornographique du tout-visible d’un côté et l’interdit théologique de toute visibilité de l’autre.

Emmanuel Alloa est philosophe et théoricien de l’image. Maître de conférences en philosophie auprès de l’Université de Saint-Gall (Suisse), il est Senior Fellow auprès du Centre eikones sur l’image (Bâle) et enseigne l’esthétique au département d’Arts plastiques à l’Université de Paris 8. Dernières publications : La Résistance du sensible (Kimé, 2008), Penser l’image (Presses du réel, 2010), L’Image diaphane (diaphanes, 2011), Du sensible à l’œuvre (La lettre volée, 2012). Il codirige auprès des Presses du réel la collection « Perceptions » dédiée à la logique du visuel et à ses transformations contemporaines. Ses recherches actuelles portent sur l’image testimoniale.