Dossier documentaire

Dorothea Lange. Politiques du visible

Dossier documentaire de l'exposition

DOSSIER DOCUMENTAIRE, MODE D’EMPLOI
Conçu par le service éducatif, en collaboration avec l’ensemble du Jeu de Paume et les professeurs-relais des académies de Créteil et de Paris, ce dossier propose aux enseignants et aux équipes éducatives des éléments de documentation, d’analyse et de réflexion.

Il se compose de trois parties :
Découvrir l’exposition offre une première approche du projet et du parcours de l’exposition, ainsi que des orientations bibliographiques.
Approfondir l’exposition développe plusieurs axes thématiques autour des conceptions de la représentation et du statut des images.
Pistes de travail initie des questionnements et des recherches, en lien avec une sélection d’œuvres et de documents présentés dans l’exposition.

L’exposition
Dorothea Nutzhorn naît en 1895 à Hoboken, New Jersey, dans une famille d’immigrants allemands de la deuxième génération. À l’âge de dix-huit ans, elle se lance dans la photographie et apprend son métier dans un premier temps à New York, auprès de photographes portraitistes de studio bien connus. Par la suite, en 1918, elle ouvre son propre studio à San Francisco et adopte le nom de jeune fille de sa mère, Lange. Son studio devient vite un centre de la vie artistique de la ville et lui offre une indépendance vis-à-vis de sa famille, en tant que jeune mère de deux garçons et épouse d’un peintre célèbre, Maynard Dixon.

En 1932, au cœur de la Grande Dépression, qui a débuté en 1929, Lange se détourne du portrait de studio pour se concentrer sur des scènes de rue et montrer les conséquences de la récession à San Francisco ainsi que l’agitation sociale qui y règne. Cette période de deux ans marque un tournant dans sa vie : elle prend conscience de l’importance de la condition humaine dans son travail. Les photographies novatrices de cette pionnière du documentaire social attirent l’attention de Paul Schuster Taylor, professeur d’économie à l’université de Californie à Berkeley et spécialiste des conflits agricoles des années 1930, qui deviendra plus tard son second mari. En 1934, il utilise l’une des photos de Lange pour illustrer son article consacré à la grève générale qui a lieu cette année là
(c’est le conflit social maritime le plus long et le plus important de l’histoire des États-Unis).

Un an plus tard, Lange et Taylor sont engagés par des agences fédérales instituées dans le cadre du New Deal de Roosevelt, ambitieux programme politique et économique conçu pour atténuer les effets de la dépression. Durant trente ans, leur relation professionnelle et personnelle se nourrira d’une volonté commune de créer un récit qui rende compte par le texte et l’image de quelques-unes des
grandes étapes de l’évolution de la société américaine.

Employés par la Section historique de l’administration fédérale pour la réinstallation (Resettlement Administration – RA), qui deviendra en 1937 la Farm Security Administration (FSA), Lange et Taylor font partie d’un groupe nombreux de photographes et de sociologues chargé de rendre compte des politiques agricoles fédérales. Ils publient en 1939 l’ouvrage An American Exodus, qui contribue à témoigner des conditions sociales dans les États ruraux. Divers rapports, magazines, revues et quotidiens publient les archives visuelles de la FSA, qui offrent une visibilité exceptionnelle aux photographes qui y ont pris part.

Dorothea Lange a certes créé quelques-unes des icônes de la Grande Dépression, mais cette exposition montre d’autres aspects de sa pratique photographique, qu’elle considérait elle-même comme archivistique. En resituant son œuvre dans le contexte de son approche anthropologique, on
observe que ses images intimes et poignantes s’enracinent également dans les interactions qu’elle noue avec son sujet, ce qui est manifeste dans les légendes qu’elle rédige pour ses prises de vue. Lange a ainsi considérablement étoffé la qualité informative de ses archives visuelles, produisant
une forme d’histoire orale destinée aux générations futures. À travers son travail au profit d’institutions fédérales et la publication de ses images dans la presse illustrée, elle a inlassablement cherché à dénoncer les injustices sociales et à faire évoluer l’opinion publique.

La volonté de Dorothea Lange de se rapprocher des personnes qu’elle photographie est particulièrement perceptible dans les cinq ensembles autour desquels s’articulent l’exposition et l’album qui l’accompagne : la période de la Grande Dépression (1932-1934), un choix de photographies réalisées pour la Farm Security Administration (1935-1941), les chantiers navals de Richmond (1942-1944), l’internement des Américains d’origine japonaise (1942) et la série consacrée au travail d’un avocat commis d’office (1955-1957). Enrichie d’une information contextuelle et d’importants documents d’archives, la présentation de « Dorothea Lange. Politiques du visible » au Jeu de Paume replace cette œuvre considérable dans le contexte du documentaire social des années 1930 et 1940, tout en soulignant les qualités artistiques et la force des convictions politiques qui confèrent à leur auteure une place capitale dans l’histoire de la photographie.