Coup d'oeil : image et littérature
Photo : Sabine Weiss, Françoise Sagan chez elle, lors de la sortie de son premier roman Bonjour tristesse, Paris, 1954 © Sabine Weiss

Image et littérature

Coup d'oeil #3

Pendant tout le mois de novembre, on vous parle des liens entre « image » et « littérature ». Au programme : des images commentées, des reco lecture et ciné et bien d’autres surprises…

L'EDITO

« Un reproche bête qu’on nous fait […] c’est de vouloir être uniquement des photographes » écrivait Zola en 1880 à propos des critiques du naturalisme (Emile Zola, Le roman expérimental). En bon romancier, il connaissait la différence qu’il y a de la description en mots à la description en images, des pouvoirs et des limites de l’une et de l’autre, de ce qui sépare l’évocation de la monstration. Ironie du sort, Zola allait d’ailleurs lui-même devenir un photographe amateur assidu, dans les dernières années de sa vie, une fois d’ailleurs son œuvre romanesque quasi achevé.

Les rapports des images et de la littérature ont souvent été une histoire de défiance ou de rendez-vous manqués. Le cinéma en est un bon exemple : combien d’adaptations littéraires médiocres de chefs d’œuvre de la littérature ? Plaquer des images sur de la littérature c’est bien souvent réduire cette dernière à du pur récit. Les cinéastes ont appris à se méfier du modèle littéraire, à chercher à s’émanciper de l’écrit, du théâtral : «Si un spectacle est tout écrit, à quoi sert de le filmer ? » s’interrogeait le jeune Jean-Luc Godard avant d’ajouter « À quoi sert le cinéma, s’il vient après la littérature ? Quand j’écris un scénario, moi aussi j’ai envie de tout mettre sur le papier, mais je n’y arrive pas. Je ne suis pas écrivain. » (Cahiers du Cinéma, décembre 1962).

Et pourtant chez les photographes, le modèle littéraire fait souvent retour. Aux questions posées sur leur démarche, nombre d’entre eux invoquent encore une forme littéraire, quelle qu’elle soit : « un journal intime présenté au public » (Nan Goldin), « un poème en prose » (Luc Delahaye), « une volonté de réintroduire dans la photo quelque chose qui tiendrait de la métaphore » (Denis Roche), sans parler de « l’essai photographique »… Les exemples sont innombrables, plus d’un siècle après Zola, non pas d’écrivains-photographes mais de photographes revendiquant une forme d’écriture littéraire.

— Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume