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La corneille. Photo Adrien Chevrot.

Archive magazine (2009 – 2021)

« L'Aéroport » Une nouvelle de Jean-Marc Ligny.

L'Aéroport est une nouvelle inédite de Jean-Marc Ligny, qu'il a écrite en résonnance avec la programmation FUTURS D'AVANT, proposée par Livia Benedetti et Marcela Vieira pour l'espace virtuel du Jeu de Paume.

[English version]

Cet aéroport, du moins ce qu’il en reste, n’est plus qu’une coquille brûlante d’où le protagoniste, ancien pilote, essaiera de s’échapper, vers l’inconnu. La technologie a cédé la place au bricolage et au tissage, comme si le futur se nourrissait du passé.

L'Aéroport

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Debout devant la baie vitrée de la salle d’embarquement, il promène son regard sur le tarmac désert. Le béton miroite sous la chaleur, déjà intense de bon matin. Le vent torride soulève des volutes de sable et pousse des virevoltants sur les pelouses disparues, arpents de terre craquelée parsemée de moisine. Ce sont les seuls mouvements que l’homme repère sur cette plaine écrasée de soleil. Il en est un autre, plus lent, indiscernable à l’œil nu : la progression des dunes, qui grignotent peu à peu les pistes abandonnées.
En se penchant vers la baie oblique par-dessus le garde-fou chromé, il distingue les trois avions qui gisent là depuis des lustres : un Boeing 787 et un Airbus A330 sur des aires de stationnement, et un petit An-140 Faraz iranien devant un hangar de maintenance – son hangar à présent. Leurs couleurs sont délavées et les logos des compagnies qui les exploitaient s’estompent sous une couche épaisse de poussière ocre. Vus de loin, ils paraissent n’avoir besoin que d’un bon nettoyage, mais il sait pour les avoir maintes fois explorés qu’ils ne sont plus que des carcasses corrodées, pillées, saccagées, servant d’abris aux serpents, gerbilles et autres scorpions. Leurs pneus crevés et leurs cockpits démolis lui font trop de peine, et le vent qui hulule dans leurs tuyères inertes lui évoque des gémissements d’agonie.
Il a piloté le Faraz. C’est le dernier avion à avoir atterri ici. Juste une escale technique, un des turbopropulseurs montrant quelques signes de faiblesse. C’était il y a vingt ans…
Tandis qu’il contemple ces vestiges sinistres, il se dit qu’il est peut-être le dernier pilote encore en vie. Au début, il a bien songé à réparer son Faraz, mais Antonov, la société-mère ukrainienne, ne fournissait plus de pièces détachées ; puis n’a plus répondu au téléphone. Puis c’est le téléphone lui-même qui s’est tu. De toute façon le carburant était devenu trop rare, trop cher, de trop mauvaise qualité. Et pour aller où ? Son autonomie de deux mille kilomètres ne lui permettait pas d’atteindre un aéroport sécurisé – s’il en existait encore.
Il a d’autres projets maintenant – ou du moins un autre projet. Qui l’attend là-bas dans le hangar. Il faut d’ailleurs qu’il y aille rapidement, avant que la chaleur ne devienne trop intense pour travailler dehors.
Le pilote ignore pourquoi il revient ici parfois, dans ce terminal. Espère-t-il voir par miracle un vol annoncé ? Se complait-il dans la nostalgie d’une époque révolue ? S’attend-il à l’apparition de djinns du désert, ou des fantômes des derniers voyageurs ? Mais dans les vastes salles au sol dallé de faux marbre ne résonne que l’écho de ses pas ; les écrans noirs ne lui renvoient que son propre reflet d’homme hirsute, émacié, vêtu de hardes informes ; aucun spectre ne rôde derrière les longues rangées de comptoirs ou de postes de contrôle. L’aéroport abandonné reste figé dans son absolue minéralité.»
[…]
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Le Jeu de Paume remercie l’auteur pour son aimable et généreuse collaboration.


Né en 1956 à Paris, Jean-Marc Ligny est un écrivain français de science-fiction et de littérature fantastique. Il publie sa première nouvelle en 1978 dans l’anthologie Futurs au présent de Philippe Curval. Temps blancs, son premier roman, paraît l’année suivante. Depuis, Jean-Marc Ligny a écrit une quarantaine de romans – dont une dizaine pour la jeunesse.
Il a reçu le Grand Prix de l’Imaginaire pour Inner City en 1997, le prix Rosny Aîné pour Jihad en 1999 et le Prix de la Tour Eiffel pour Les Oiseaux de lumière en 2001. Son roman Aqua™, paru en 2006, décrit la lutte d’un petit pays d’Afrique contre une multinationale pour la possession de la ressource la plus précieuse qui soit : l’eau potable, dans un contexte de réchauffement climatique global. Il a reçu le prix Bob-Morane 2007 du meilleur roman francophone, le prix Rosny aîné 2007, le prix Julia-Verlanger 2007 et le prix Une autre Terre 2007, remis au festival Imaginales d’Epinal pour le meilleur roman traitant d’écologie de l’année. En 2012, son roman Exodes reprend le thème du réchauffement climatique en le poussant à son extrême. Il reçoit le prix Européens, aux Utopiales 2013.