Julian Charrière
An Invitation to Disappear - Sorong, tirage photographique, 2018
© Julian Charrière
© Adagp, Paris, 2025

À lire

Textes de salles et cartels des œuvres

Festival Paysages mouvants

Introduction

Pensée comme un récit collectif et pluridisciplinaire, la deuxième édition du festival du Jeu de Paume intitulée « Paysages mouvants » convoque de nouveaux imaginaires liés aux espaces naturels et aux symboles intemporels que des siècles de représentation ont contribué à ancrer dans l’inconscient collectif. Ils évoquent chez chacun des souvenirs, des légendes, une forme de luxuriance ou, à l’inverse, d’austérité. Le projet revendique également la création d’un terrain de réflexion subjective sur les enjeux environnementaux, identitaires, et sur les flux migratoires.

Une voix traverse de part en part une série de paysages, en résonance avec le parcours de l’exposition où quinze artistes, invité à produire une oeuvre ou à montrer de manière inédite une ou plusieurs pièces déjà existantes, nous font voyager depuis les étendues glaciaires jusqu’aux zones volcaniques, des montagnes aux palmeraies, des milieux tropicaux aux sites insulaires. La programmation associée comporte trois temps forts où une vingtaine de créateurs sont conviés à s’exprimer à l’occasion de performances, d’ateliers ou de concerts.

Comme on dévale une montagne, ou comme on est entraîné par le courant d’un fleuve, « Paysages mouvants » propose de se laisser transporter, tissant pas à pas une histoire sensorielle et intime de notre relation avec les paysages que nous habitons, traversons, visitons, défendons. Ils n’y tiennent pas un second rôle, mais sont au centre de tout, partout, en nous.

Jeanne Mercier

Sous les paupières, les paysages

Extrait de la narration qui traverse l’exposition

Montagne, désert, littoral, volcan, forêt, glacier
Ces simples mots font surgir dans votre esprit toute une iconographie, synthétisée en une vision-réflexe. Pour chacun de ces lieux, une image générique apparaît : une icône de paysage.Fermez les yeux un instant. Que voyez-vous ?
La montagne : une minéralité anguleuse culminant au loinLa jungle : une touffeur tropicale, l’intensité verte dans l’ombre de la canopée
L’océan : l’immensité liquide et mouvante sous un ciel changeantLe ciel : l’absolu bleuté ou les volutes tourmentées d’une tempête imminente
Avec les images viennent les sons, la fraîcheur d’une brise ou le mordant du soleil, les parfums, autant de sensations qui vous rappellent que votre corps a été là, un jour, dans ces espaces.
Fleuve, oasis, rizière, jungle, île
Vous nommez cela « paysages ». C’est un intermédiaire entre vous et le monde, une formulation.
Regardez au loin, vous verrez l’horizon. Celui-ci indique que vous êtes quelque part.
Il s’éloigne lorsque vous vous dirigez vers lui. Dans l’horizon, le temps et l’espace sont liés.
Où vous trouvez-vous ? Êtes-vous notre lointain ? Ou bien sommes-nous avec vous, intimement intriqués ?
Vous souvenez-vous de ce lieu dont la beauté vous a fasciné, et qui fut le théâtre d’événements intenses ? Pour certains d’entre vous, il est des paysages définitivement liés à un temps révolu. Vous les avez traversés, habités, investis. En retour, ils ont dessiné une empreinte en vous. Ce sont les paysages de mémoire, laissés derrière soi, et dont le spectre surgit parfois, dans un écho visuel.
Comme vous, le paysage est marqué par la traversée du temps. Il rend compte des cycles, d’une chronologie qui inscrit dans sa matière la trace de chaque événement. Le temps est dans le paysage. 
Vous contemplez un paysage. Vous le ressentez également. Vous réalisez que vous en faites partie, que vous agissez en lui, avec lui. Il n’est plus un tableau que vous contemplez à distance. C’est un monde de sensations, une expérience, un souvenir, une fiction collective.

Fermez les yeux.
Ressentez-vous notre présence ?
Nous vous accompagnons depuis le début.
Levez les yeux, regardez-nous.
Nous vous contemplons en retour. Nous, les paysages.
Il y a de vous en nous. Et nous vivons en vous, tapis sous vos paupières.

Loo Hui Phang

Julian Charrière

Né en 1987 à Morges, Suisse, l’artiste franco-suisse Julian Charrière vit à Berlin. Mêlant performance, sculpture et photographie, ses projets sont souvent issus de travaux de terrain dans des lieux isolés ou abandonnés, tels que des volcans, des champs de glace et des sites radioactifs. En rencontrant des lieux où des identités géophysiques aiguës se sont formées, Charrière propose des histoires alternatives, en examinant souvent les matériaux à travers le prisme du temps géologique.

Depuis des siècles, l’environnement insolite des régions polaires a suscité un imaginaire des merveilles. Aujourd’hui, ces paysages ont acquis un impact visuel puissant dans la culture populaire, où ils servent de symboles majeurs du dérèglement climatique d’origine anthropique. Julian Charrière s’est rendu dans l’Arctique et l’Antarctique pendant plus de dix ans pour faire l’expérience directe de ces environnements menacés. Towards No Earthly Pole a été conçu en 2017, dans le cadre de la première Biennale Antarctique. Avec son équipe basée à Berlin, il a déve loppé un équipement technologique 9 personnalisé. Les images et les sons qu’il capte de nuit révèlent un paysage gelé mais bien vivant, en constante évolu tion, la présence d’un autre monde. En 1815, le volcan Tambora en Indonésie explosa avec une telle puissance que le nuage de cendres engendré affecta le système climatique mondial. Cette « année sans été », traversée de phénomènes météorologiques et optiques qui inspirèrent des artistes tels que Joseph Mallord William Turner (1775 – 1851), Caspar David Friedrich (1774-1840) ou François Forster (1790-1872), fut une période de refroidissement et de disette. Première collaboration de Julian Charrière avec la philosophe Dehlia Hannah, le film An Invitation to Disappear (2018) est une réponse au 200e anniversaire de cette éruption volcanique. Tous deux évoquent l’altération de l’environnement mondial désormais causée par les actions de l’humanité, plus grave ment que par la nature elle-même. La production d’huile de palme en est l’illustration : un processus qui nécessite l’abattage de régions écologiquement diverses en faveur de mono cultures rentables. Des photos exposées ici, tirées de plans du film serrés sur les palmiers, émane une anxiété sourde, celle d’un monde pris au milieu d’un désir insoutenable de satisfaire l’économie mondiale.

Julian Charrière
An Invitation to Disappear - Sorong, tirage photographique, 2018
© Julian Charrière
© Adagp, Paris, 2025

Léonard Pongo

Né en 1988 à Liège, Belgique, Léonard Pongo vit et travaille entre Kinshasa et Bruxelles. Conçues in situ, ses installations intègrent du textile, différentes techniques d’impression et des images en mouvement. Dans ses travaux, il interroge le rapport à la terre avec comme point d’ancrage la République démocratique du Congo.

Selon Léonard Pongo, c’est par la pérégrination dans l’environ nement et l’expérience sensorielle que surgit une vision du monde. En s’inspirant des traditions congolaises et des cultures luba, Tales from the Source présente le paysage comme un personnage doté d’une volonté et d’un pouvoir propres. L’oeuvre est tel un livre ouvert racontant une histoire de l’humanité et de la planète, dont le coeur se situe au Congo. Les visiteurs sont invités à faire corps avec l’installation, en déam bulant à travers une superposition d’images, de couches, de calques, de projections créant un nouveau paysage complexe et vibrant. Léonard Pongo donne à voir la RDC non comme une ressource à exploiter, mais comme une source de vie pour la planète entière, un lieu central et essentiel à la compréhension de la place de l’humain et de sa relation à son environnement. Tales from the Source porte un autre récit de l’histoire de l’humanité, dans lequel le bassin du Congo, sa puissance et ses richesses, tant physiques qu’immatérielles, jouent un rôle majeur pour construire un futur commun.

Léonard Pongo
Tales From The Sources, installation : œuvres textiles et vidéos, 2025
© Léonard Pongo
Avec le soutien du Jeu de Paume et l'aimable contribution de ses Bienfaiteurs.

Mónica de Miranda

Mónica de Miranda étudie les stratégies de résistance, les géographies de l’affection et la narration à travers le dessin, l’installation, la photographie, le film et le son, dans un travail aux frontières entre documentaire et fiction. Sa pratique fondée sur la recherche examine de manière critique la convergence de la politique, du genre, de la mémoire, de l’espace et de l’Histoire.

Le travail de Mónica de Miranda offre une réflexion sur les fron tières entre l’histoire et la fiction, donnant corps à des voix habituellement réduites au silence par les récits dominants. De l’aube au crépuscule, une ancienne combattante de la libération angolaise se déplace en bateau le long de la rivière Kwanza. Celleci est le berceau du royaume de Ndongo, état précolonial tributaire du royaume de Kongo. À travers différentes temporalités et micronarrations rassemblées dans une imposante vidéo, Path to the Stars réunit des biographies complexes qui se chevauchent et interagissent : le passé et les combattants de la liberté anticoloniaux, l’incertitude du présent et le désir d’appar tenance, la projection vers l’avenir et le désir de symbiose avec l’environnement. Métaphore d’un espace féminin qui traverse plusieurs temps et espaces, une femme observe attentivement la nature qui l’entoure, tandis que son corps se confond lentement avec l’eau de la rivière.

Mónica de Miranda, Path to the Stars, 2022
© Mónica de Miranda

Richard Pak

Né en 1972 à Corbeil -Essonnes, France, Richard Pak vit et travaille à Paris. Artiste pluridisciplinaire, son médium de prédilection est la photographie. Depuis quelques années, il a entrepris un cycle de recherches artistiques sur les espaces insulaires (Les Îles du désir, depuis 2016). Son travail s’ancre bien souvent dans l’Histoire dont il se saisit pour composer ses propres histoires.

Il était une fois une île minuscule aux confins de l’Océanie : Nauru. En 1908, la découverte fortuite de phosphate — minerai entrant dans la composition d’engrais agricole — assura une prodigieuse source de revenus aux puissances étrangères qui la colonisèrent successivement. Son indépendance en 1968 la fit entrer dans un âge d’or fulgurant. En quelques années, le minuscule état devint le plus riche au monde, avec revenus décuplés et hyperconsommation. L’ île connut une croissance économique vertigi neuse. Mais au milieu des années 1990, l’épuisement des gisements la plongea dans une spirale de dettes irréversible, faisant d’elle l’un des pays les plus pauvres du globe. Richard Pak s’empare de ce naufrage économique, social et écologique, pour réveiller un mythe inscrit dans nos imaginaires (l’ île au trésor), couplé à son pendant inversé (l’effondrement contemporain). Dans son regard, Nauru est une allégorie moderne, un conte cruel quoique bien réel. Son installation photographique montre la désolation qu’un siècle d’extractivisme a engendrée sur la quasitotalité d’une île autrefois paradisiaque. À l’image du pays, ses négatifs sacrifiés dans l’acide phos phorique (un dérivé du phosphate) produisent des images fantasmagoriques. Des balayeuses dans une lutte incessante contre la poussière du minerai nous offrent un ballet aussi vain que perpétuel. L’ensemble installe l’histoire dramatique de Nauru dans une dimension mythologique, tel un oracle moderne.

Richard Pak
Soleil vert, tirage photographique, 2023, de la série L'île naufragée
© Richard Pak

Prune Phi

Née en 1991 à Paris, Prune Phi grandit dans le sud de la France. Elle vit et travaille aujourd’hui à Marseille. En étudiant les mécanismes de transmission au sein des familles, communautés et diasporas, Prune Phi explore l’oubli et la mémoire en faisant l’expérience physique et plastique de la défaillance, du manque et de la dissolution.

Pour Prune Phi, la rizière est l’un de ces paysages de mémoire qui résonnent entre les générations. De l’exil du Vietnam jusqu’au restaurant de son grandpère dans le sud de la France, La Rizière, elle remonte les traces du déplacement du riz jusqu’à sa culture en Camargue. L’installation .cóm prend comme point de départ le rôle joué par les travailleurs forcés indochinois dans sa culture intensive en France. Prune Phi mixe archives et nouvelles images, emprunte aux objets tradition nels, ainsi qu’à certains objets asiatiques plus contemporains pensés par et pour l’Occident. À travers .cóm, l’artiste décortique un vocabulaire de la cuisine pour aborder les dimensions historiques, sociales, politiques, thérapeutiques, mystiques et intimes contenues dans le riz et ses contenants déplacés. Premier décor d’une histoire à venir, .cóm annonce le début d’une fiction qui se déroule au pied des plants de riz, depuis les organismes grouillants de son eau stagnante.

Prune Phi
.cóm, image 3D, 2025
© Prune Phi
© Adagp, Paris, 2025
Une coproduction de la Fondation d'entreprise Martell. Avec le soutien du Jeu de Paume et l'aimable contribution de ses Bienfaiteurs.

Andrea Olga Mantovani

Née en 1985 à Poissy, France, Andrea Olga Mantovani vit et travaille à Montpellier. Géographe de formation, elle a développé durant six ans différents projets sur des problématiques environnementales et sociales en Europe. Dans son approche, elle renvoie à la complexité de la crise environnementale et évoque ainsi de manière métaphorique certains aspects des enjeux de notre société.

L’artiste utilise la photographie autant comme un acte artistique militant que comme témoignage documentaire. En 2020, au cours d’un reportage sur la déforestation dans les Carpates qu’elle traverse pour la première fois, c’est un paysage étran gement familier qui surgit, et avec lui une mémoire familiale jusque-là cachée. Les récits de sa grandmère lui apprennent l’existence d’un arrièregrandpère ukrainien, forestier de métier, dont elle partage le prénom : Andrey. La forêt des Carpates devient alors le théâtre de réminiscences intimes et historiques. Andrea Olga Mantovani explore cette dissociation avec un procédé photographique singulier : sur son épaule gauche, un appareil chargé de pellicules argentiques périmées — l’oeil de son aïeul Andrey — ; sur son épaule droite, un appareil capturant des nuances de violet et de rouge, reflet de son regard contemporain. Le processus chimique altéré révèle des territoires contrariés, ceux de l’exil et des ruptures familiales. Un nouveau cycle commence, guidé par l’intuition : Racines. L’invisible et I’« imprononcé » jaillissent, s’emparent d’un territoire marqué par la géopolitique, pour l’investir d’un souffle nouveau, le réinventer en paysage sensoriel et apaisé.

Andrea Olga Mantovani,
Cicatrice, tirage photographique, 2023, de la série Racines
© Mantovani Andrea
Avec le soutien du Jeu de Paume et l'aimable contribution de ses Bienfaiteurs.

Yo-Yo Gonthier

Né à Niamey, Niger, en 1974, Yo-Yo Gonthier vit et travaille à Daumazan -sur-Arize, dans les Pyrénées. Yo-Yo Gonthier questionne l’effacement de la mémoire dans une société occidentale où la vitesse, le progrès et la technologie apparaissent être les valeurs essentielles. Il s’intéresse aussi au geste artistique collaboratif comme hypothèse d’émancipation personnelle et collective.

Entre 2011 et 2013, YoYo Gonthier a construit à SaintDenis, avec près de deux cents participants, une structure volante de huit mètres de long dénommée Le nuage qui parlait. Celuici est reparu en 2013 à l’île de la Réunion, en 2015 à PierrefittesurSeine, en 2016 à Abidjan et à Niamey, en 2024 à Buenos Aires. YoYo Gonthier — dont le travail rassemble sculptures, dessins, vidéos et photographies — s’inspire d’explorations, de conquêtes, de découvertes, de voyages physiques et fantasmés. Le nuage qui parlait nait d’une histoire et d’une expérience communes. Il porte l’engagement collectif de ceux et celles qui l’ont construit, depuis l’élan vertigineux du premier pas, au geste collectif, bâtisseur et fondamental. Chacun a été invité à broder ses rêves et ses pensées sur la surface du Nuage. Son envol en divers points du monde est une action et un symbole, celui de l’émancipation. Selon YoYo Gonthier, « c’est du surgis sement du merveilleux dont il s’agit ici, nimbé dans son parcours d’une angoisse viscérale, existentielle, métaphysique ».

Yo-Yo Gonthier
Les nuées de sables, Sahara, triptyque, tirage photographique, 2011 à nos jours, du projet « Le Nuage qui parlait »
© Yo-Yo Gonthier
© Adagp, Paris, 2025

Eliza Levy

Née en 1978 à Genève, Suisse, l’artiste Eliza Levy vit à Arles. Française d’origine berbère et biélorusse, elle explore la manière dont les récits peuvent transformer nos perceptions en utilisant la poésie comme outil d’éveil politique. Sa pratique s’ancre dans une réflexion profonde sur les interactions entre humains et non-humains. Elle cherche de nouvelles façons d’habiter le monde en décentrant le regard.

Eliza Levy propose avec Les Hospitaliers un paysage que l’on habite et que l’on ressent. Un espaceconte incarné par une image projetée, un parfum d’été au clair de lune, un tourbillon de vents, la présence d’un arbre, des masques qui donnent corps à des êtres invisibles, et un banc, offert ici comme une trace d’humanité à partager. Le paysage n’est plus un simple décor mais une entité vivante dans laquelle s’insérer. Le postulat, en déplaçant l’humanité de son surplomb, établit un décentrement et redistribue les puissances d’agir. Dans sa pratique, Eliza Levy tente de réconcilier les humains avec le sensible. En faisant jaillir la magie pour réenchanter le monde, Les Hospitaliers résonne comme une mythologie contemporaine.

Eliza Levy
Les Hospitaliers, installation immersive : projection, son, fragrance, banc, masques, chêne, ombre, 2025
© Eliza Levy
Avec le soutien du Jeu de Paume et l'aimable contribution de ses Bienfaiteurs.

Julien Lombardi

Né en 1980 à Marseille, France, Julien Lombardi vit et travaille à Mexico et Marseille. Associant les outils de l’anthropologie et de la photographie, son travail explore les interactions entre le vivant, le mythe et la technologie. Déplaçant l’objectivité du langage documentaire, il donne forme à des images en collaborant avec des chercheurs et des environnements qui inspirent des futurs alternatifs.

Dans les années 1960, le désert de Sonora au Mexique s’est transformé en terrain de simulation pour les missions Apollo, en raison de son relief dunaire et volca nique proche de ceux de la Lune et de Mars. Aujourd’hui encore, ce territoire, où peu d’êtres humains s’aventurent, constitue un laboratoire unique pour étudier les conditions de vie en milieux extrêmes. La pollution lumineuse y est quasiment inexistante, à l’exception des fusées Falcon 9 de SpaceX qui chaque semaine s’élèvent de la base de Vandenberg en Californie voisine. Écologie, cosmologie et technologie tissent des liens surprenants dans ce paysage où les mondes réels et projetés se brouillent dans un mirage. Pour Julien Lombardi, ces spécificités font de ce territoire un terrain idéal pour ébaucher un contrerécit de la conquête spatiale. Planeta, grâce à la complicité de ses collaborateurs, réunit les outils des arts visuels et des sciences, en particulier ceux de l’astrophysique, de l’exobiologie et de la géologie planétaire. Ces chercheurs, majoritairement privés d’un accès direct à leurs terrains d’exploration, travaillent par « résonance » : en étudiant les écosystèmes terrestres, ils sondent des mondes inaccessibles, abolissant ainsi les distances. Julien Lombardi s’inspire de cette approche pour réexaminer notre relation à la Terre et au Cosmos, car on ne voit pas l’espace, nos sens ne le perçoivent pas. Son installation semble poser une question essentielle : où commence l’espace, et où s’arrête la Terre ? Dans cet espacemiroir de l’exploration spatiale, en jouant sur la tension entre l’Autre et le semblable, Julien Lombardi nous invite à interroger la nature et la fabrication de nos imaginaires de l’espace.

Julien Lombardi
Planeta, installation : photographies et sculpture, 2025
© Julien Lombardi

Thomas Struth

Né en 1954 à Geldern, Allemagne, Thomas Struth vit et travaille à Berlin. Rapprochant les formes de la documentation et de la contemplation, ses photographies dépeignent le monde d’aujourd’hui à travers les rues vides des villes, les lieux culturels ou cultuels, les sites d’innovation industrielle et technologique mais aussi les images de la nature et les portraits de famille, et soulignent en particulier la tension entre la banalité et le sublime.

Intrigué par la culture maya et sa relation complexe avec son environnement, Thomas Struth envisage dès 1982 une expé dition dans les forêts tropicales humides d’Amérique centrale. En 1993, une visite au Mexique est annulée en raison du soulèvement armé au Chiapas. À partir de 1996, le photographe formule un plan pour les images de Paradise, envisageant déjà une installation constituée de plusieurs oeuvres entourant le spectateur. Il commence sa quête de forêts et de jungles dans le monde entier, profitant de voyages en Chine, au Japon et en Australie pour trouver des sites. Les huit premières images de Paradise sont réalisées en 1998 dans la forêt tropicale humide de Daintree, au nordest de l’Australie. Thomas Struth a depuis poursuivi son travail dans la province du Yunnan en Chine, sur l’Île de Yakushima au Japon et dans les forêts de Bavière, d’Al lemagne, de Californie, des Îles Hawaïennes, de Floride, du Pérou et du Brésil.

Thomas Struth
Paradise 24, Sao Francisco Xavier, Brazil, 2001, tirage chromogène, 2001
© Thomas Struth

Laila Hida

Née en 1983 à Casablanca, Maroc, l’artiste franco marocaine Laila Hida vit et travaille à Marrakech, où elle a fondé en 2013 l’espace pluridisciplinaire Le 18. Le travail de Laila Hida explore depuis les espaces et récits intimes la place de l’individu dans une société aux prises avec ses mutations. Elle explore les projections et les frictions de désirs, d’idées et de concepts articulés entre local et occidental, au moyen de projets de commissariat, d’édition, d’installation et de photographie.

 

À la fin du XIXe siècle, le palmier dattier Phoenix dactylifera originaire d’Afrique du Nord fut transplanté en masse sur la Riviera française. La vogue de l’Orient battant son plein, il fut exporté jusqu’en Californie au début du XXe siècle. Acclimaté, reproduit à l’envi, il était l’indispensable élément des jardins exotiques et pittoresques d’alors. Avec Le Voyage du Phoenix, Laila Hida interroge la fabrication d’imaginaires à partir de la représentation de l’oasis et de sa mythification dans la pein ture, la littérature de voyage du XIXe siècle, puis le cinéma. À travers des photographies et une installation, elle examine la conception de la ville inspirée par la notion d’exotisme et la reproduction de visions stéréotypées. L’imagerie orientale, exotique et séduisante, y est répliquée sans fin, déformée, vidée. De ce processus, il n’en subsiste que les résidus qui infusent aujourd’hui le monde contemporain. L’Eden est devenu objet de consommation.

 

Laila Hida
Le Voyage du Phoenix - Copie d'une Copie, installation : vidéos, sculptures et photographies, 2025
© Laila Hida

Edgar Cleijne et Ellen Gallagher

Né en 1963 à Eindhoven, Pays-Bas, Edgar Cleijne est un artiste néerlandais qui travaille avec la photographie et le cinéma. Il vit à Rotterdam et à New York. En fusionnant les extrémités opposées de l’imagerie traditionnelle et numérique, Cleijne examine les effets de l’Anthropocène – ère géologique actuelle dont les changements sont générés par les activités humaines — aux points de croisement de la nature, de la culture et des biens communs. Cette position se reflète dans les installations filmiques en créant un entrelacement d’espace, d’image et de son.

Née en 1965 à Providence, États-Unis, Ellen Gallagher vit et travaille à Rotterdam et à New York. Ellen Gallagher construit des oeuvres complexes et multicouches qui oscillent entre le monde naturel, la mythologie et l’histoire. Elle développe son travail comme le ferait une archéologue, à travers un mode simultané d’intégration et d’extraction de l’histoire et de la matière. Synthétisant un large éventail de traditions picturales et travaillant au-delà des frontières nationales, l’artiste permet à l’abstraction et à la figuration de devenir des portails vers un monde dans lequel le sujet devient forme — tandis que la réalité et les rêves se combinent.

Drowned Forest est un récit fait de projec tions 16 mm et de musique électro mili tante de Detroit (ÉtatsUnis) du début des années 1990. L’installation met en scène une vision apocalyptique du monde après le changement climatique qui a conduit à la submersion totale de la Terre. Refusant de cohabiter avec les humains, les animaux ont fait sécession et vivent dans une zone séparée d’eux. Isolée de la « dimension humaine », une otarie à fourrure utilise le logiciel SubScraper pour se frayer un chemin vers la « nature », tandis que, sous la forme d’une projection sur un bloc de résine, son adversaire Berthus, un rhinocéros de Sumatra, reste à l’affût non loin.

Edgar Cleijne et Ellen Gallagher
Drowned Forest, installation filmique en 16mm avec son optique, 2015-2024
© Edgar Cleijne et Ellen Gallagher

Mathieu Pernot

Mathieu Pernot est né en 1970 à Fréjus, France. Il vit et travaille à Paris. Son oeuvre s’inscrit dans la démarche de la photographie documentaire mais en détourne les protocoles afin d’explorer des formes alternatives et de construire des récits à plusieurs voix. L’artiste procède par séries qui sont autant de points de vue sur les grandes questions politiques et sociales qui agitent la société dans son rapport aux marges et à la périphérie.

Durant dix ans, Mathieu Pernot réalise L’Atlas en mouvement en collaboration avec des réfugiés. Il y propose une nouvelle forme de récit, où l’histoire partagée se raconte à plusieurs voix. Le photographe capture l’état du ciel à différents moments du parcours migratoire de Muhammad Ali Sammuneh, astronome syrien en exil, depuis Alep jusqu’à Paris. Ce dernier traduit les légendes des planches d’astronomie dans sa langue, rappe lant ainsi l’importante contribution du monde arabe à cette science. Marwan Cheickh Albassatneh, chercheur spécia liste de la biodiversité, qui a fuit la Syrie, établit des arbres phylogénétiques d’espèces arborées méditerranéennes, ayant évolué et migré au fil du temps, et traduit en arabe les légendes des végétaux du Bassin méditerranéen figurant sur des planches botaniques. Mathieu Pernot photographie les traces laissées par le passage des réfugiés dans la forêt de Calais, ainsi que les oliviers mutilés du camp de Mória, à Lesbos, dont les branches sont utilisées par les réfugiés pour faire du feu. Il témoigne également d’un paysage coupé en deux par un mur frontalier dans l’enclave espagnole de Melilla. Sous le ciel et dans la nature, les migrants se déplacent et traversent les frontières. Arrivés en France, ils restituent leur itinéraire sur des feuilles de cahier d’écolier données par l’artiste.

Mathieu Pernot
L'atlas en mouvement, planches de botanique de végétaux du bassin méditerranéen légendées en arabe, 2018
© Mathieu Pernot
© Adagp, Paris, 2025

Mounir Ayache

Né en 1991 à Bordeaux, France, l’artiste franco marocain Mounir Ayache vit à Marseille. Ses créations technologiques incitent à regarder les réalités politiques et sociales du monde arabe sous un autre jour. En reprenant les codes de la science-fiction, auxquels il mêle histoires familiales et réappropriation imaginaire des expériences et identités arabes, Mounir Ayache s’inscrit dans le courant non officiel de l’arabofuturisme, influencé par l’afrofuturisme des années 1990.

Les dunes du désert portent en elles des imaginaires aux temporalités multiples, empruntant autant au passé qu’au futur. Pour cette installation, Mounir Ayache a puisé ses références dans la mythologie grecque, la série animée Ulysse 31 et la figure de Léon l’Africain, explorateur et diplomate nord-africain du XVIe siècle. Charybde et Scylla, les deux monstres marins gardiens du détroit de Messine que doit traverser Ulysse, sont ici transposés au XXVle siècle et personnifiés en deux figures féminines symbolisant le progressisme et le conservatisme. L’oeuvre met en scène un dialogue dans lequel ces deux pôles politiques discutent de leurs conflits et de leur résolution au milieu d’un désert virtuel. L’artiste invite à explorer 500 ans de modes de gouvernance fictifs autour de la Méditerranée, entre utopie et dystopie. Mounir Ayache singe les représentations de l’Autre et de l’Étranger dans les fictions occidentales, par des technologies nouvelles, brouillant les frontières entre art contemporain et divertissement.

Mounir Ayache
The Scylla/Charybdis Temporal Rift Paradox, 2025.
Installation : soieries, bras robotisé, vidéo, lumières leds et Uvs (détail).
© Mounir Ayache