À lire

Textes de salles et cartels des œuvres

Exposition Tina Barney. Family Ties *

Introduction

« La seule façon de s’interroger sur soi-même ou sur l’histoire de sa vie, c’est à travers la photographie », écrivait Tina Barney en 2017. Depuis la fin des années 1970, l’artiste poursuit principalement une œuvre de portraitiste, en grand format et le plus souvent en couleurs. D’abord centré, dans les années 1980 et 1990, sur ses proches et son milieu aisé de la côte est des États-Unis, son travail s’est par la suite étendu à différents horizons, notamment à l’aristocratie et à la haute bourgeoisie européenne, et à d’autres canaux de diffusion : à partir des années 2000, Tina Barney réalise régulièrement des images de commande pour la presse, la mode et la publicité.

Tina Barney fait partie d’une génération qui a cherché à repenser la photographie en la nourrissant d’apports visuels empruntés — plus ou moins explicitement et consciemment — à diverses formes d’art, en particulier à la peinture en ce qui la concerne. Mêlant images prises sur le vif et mises en scène, l’artiste élabore un langage photographique original, entre rigueur et improvisation. Au cours de ces vingt dernières années, elle développe une dimension narrative et théâtrale plus affirmée, en particulier dans son travail éditorial.

Les images de Tina Barney explorent fréquemment les questions relatives aux traditions et aux rituels, à la transmission entre les générations, au dialogue, mais aussi à l’incommunicabilité. Qu’il s’agisse de ses proches ou d’inconnus, Tina Barney a toujours assuré qu’elle s’efforçait d’être aussi impartiale que possible, suivant en cela l’exemple d’un de ses grands inspirateurs, le photographe allemand August Sander, un siècle auparavant.

L’exposition s’articule autour de quelques grandes thématiques qui parcourent l’œuvre et la méthode de travail de Tina Barney, hors du cadre strict des séries et des enchaînements chronologiques. Les textes qui accompagnent les photographies sont extraits de critiques parues dans la presse à l’occasion des premières expositions de l’artiste, ainsi que d’entretiens qu’elle a accordés, ou encore de ses propres écrits.

Sauf mention contraire, toutes les œuvres proviennent de la galerie Kasmin, à New York. Les dates mentionnées à la suite des titres sont celles des prises de vue ; celles des tirages sont également précisées quand elles sont connues.

* Liens de famille

Tina Barney
Selfportrait in Red Raincoat, 1990
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Self-Portrait in Red Raincoat
Autoportrait à l’imperméable rouge
1990
Impression pigmentaire, 2024

« Au regard de l’histoire de l’art, il semble que les autoportraits soient les œuvres les plus importantes d’un artiste. Sans doute parce que la personne que l’on connaît le mieux, c’est soi-même. Je pense que la photographie est le médium le plus difficile à utiliser pour réaliser un autoportrait. Évidemment, des artistes d’autres disciplines diraient probablement la même chose de leur pratique. En photographie, la mise au point est le principal problème. Or, comment faire la mise au point sur soi-même ? Il existe différentes astuces, mais c’est particulièrement compliqué. Il y a aussi ce à quoi on pense quand on prend la photo. Pour moi, ce à quoi l’on décide de penser est sans doute la chose la plus importante de toutes. »

Tina Barney, in Sarah Meister, « Entretien avec Tina Barney », Tina Barney. Family Ties, Paris, Jeu de Paume / Atelier EXB, 2024

La famille

« Sans doute les gens pensent-ils [que je consacre mon travail] à la haute société ou aux riches, ce qui me contrarie. Ces photographies traitent de la famille, de personnes de la même famille qui se côtoient d’ordinaire au sein de leur propre maison. Je ne sais pas si le public se rend compte que c’est de ma famille qu’il s’agit. »

Tina Barney, BOMB Magazine, 1995

Les photographies de Tina Barney ont trop souvent été reçues, notamment à ses débuts, comme documentant le quotidien des classes américaines les plus aisées. Or l’artiste a toujours répété que son véritable sujet était la famille, envisagée comme un jeu complexe de relations toujours changeantes entre les êtres et les générations : les rôles sociaux que ses membres sont respectivement amenés à y tenir, les questions de filiation, de fraternité et de sororité, d’autorité et de transmission sont quelques-uns des thèmes qu’elle aborde.

De la fin des années 1970 à la fin des années 1990, Tina Barney a photographié sa propre famille, chaque été, à New York ou en Nouvelle-Angleterre, s’intégrant elle-même parfois dans le cadre. La photographe s’est toujours montrée soucieuse d’écarter toute dimension explicite de critique sociale dans les images de ses proches. Si elle reconnaît une forme de tension, de déséquilibre ou de froideur dans ces images, elle souligne dans le même temps que son projet était avant tout intime et testimonial : il s’agissait de conserver une trace.

Par la suite, ce sont de riches familles européennes qui ont retenu son attention, démarche dont résultent des images plus formelles et statiques que ses clichés américains. Plus récemment, l’artiste s’est remise à photographier son entourage, prenant pour modèles les petits-enfants de ceux qu’elle photographiait trente ans auparavant.

Tina Barney
Family Commission With Snake (Close-Up), 2007
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Family Commission with Snake (close-up)
Commande familiale au serpent (gros plan)
2007
Tirage chromogène

« Bien que la plupart des photographies de Barney aient l’aspect spontané et sincère des images prises sur le vif, elle se donne de la peine, en vérité, pour que ses modèles adoptent une pose qui produira exactement l’effet de composition recherché. Cela explique sans doute en partie l’expression d’ennui étudié qu’affiche le visage de nombre de ses sujets. Le genre d’artifice presque subliminal qui en résulte, mêlé à la grande dimension qu’elle privilégie pour ses tirages, est certainement pour beaucoup dans l’effet d’inquiétante étrangeté suscité par son art. »

David Rimanelli, « People like us: Tina Barney’s Pictures », Artforum, 1992

Tina Barney
Sunday New York Times, 1982
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Sunday New York Times
Le New York Times du dimanche
1982
Tirage chromogène

« Pour réaliser Sunday New York Times, je suis entrée dans la pièce où tout le monde était assis à lire le journal, en sachant que les gens seraient là. Comme j’ai une chambre photographique, cela nécessite un certain degré de planification. La première étape consiste toujours à trouver mon point de vue, où je me place, [car c’est ce] qui indique mon attitude face à la situation. Pour moi, il s’agit presque de la décision la plus importante de toutes. Dans ce cas, j’ai décidé que le père serait en bout de table, en point de mire. Donc je lui ai crié de rester immobile, mais je n’ai demandé à personne de se mettre à un certain endroit ni de faire quoi que ce soit de particulier. Tout le reste a été laissé au hasard. Je n’ai pas agencé ni réagencé les objets. »

Tina Barney, « Interview », Friends and Relations, Washington, DC, Smithsonian, 1991

Tina Barney
Tim, Phil and I, 1989
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Tim, Phil and I
Tim, Phil et moi
1989
Tirage chromogène

« La fadeur de surface des photographies de Tina Barney dissimule leur contenu psychologique. Dans le cas de Tim, Phil and I, c’est dans la contraction des mains et la tension des muscles du cou du sujet placé au centre que l’on peut lire le véritable message de la photographie. Sa raideur suggère que tout ne va pas si bien dans ce paradis pictural, que le territoire séparant l’enfance du monde des adultes est sur le point d’être irrévocablement franchi. »

Andy Grundberg, « Tina’s World : In Search of the Honest Moment », The New York Times, 1990

Tina Barney
The Diving Board, 2015
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Diving Board
Le plongeoir
2015
Tirage chromogène

« La plupart des adolescents que je photographie à présent sont les petits-enfants et, parfois, les arrière-petits-enfants des personnes que je photographiais dans les années 1980 et 1990. En poursuivant cette saga, j’essaie de voir et de comprendre en quoi ces gosses diffèrent de leurs parents et de leurs grands-parents. Je place aussi mon appareil très près d’eux, mais sans leur donner beaucoup de directives. De bien des manières, je découvre que rien n’a changé. Je reviens dans le lieu que j’ai photographié trente-cinq ans plus tôt, et la même chaise se trouve encore dans le coin où elle était alors. Les gens ont la même apparence, les mêmes vêtements, les mêmes comportements. Pour moi, le plus important est de savoir si leurs valeurs ont changé. Est-ce qu’ils pensent au chemin qu’ils ont parcouru, à qui ils sont, à ce qu’ils pourraient être ? Ou ces questions ne leur ont-elles jamais effleuré l’esprit ? »

Tina Barney, « Introduction », Tina Barney, New York, Rizzoli, 2017

Le moindre détail

« Je veux qu’il soit possible d’approcher l’image. Je veux que chaque objet soit aussi clair et précis que possible afin que le regardeur puisse réellement l’examiner et avoir la sensation d’entrer dans la pièce. Je veux que mes images disent : “Vous pouvez entrer ici. Ce n’est pas un lieu interdit.” Je veux que vous soyez avec nous et que vous partagiez cette vie avec nous. Je veux que la moindre chose soit vue, que l’on voie la beauté de toute chose : les textures, les tissus, les couleurs, la porcelaine, les meubles, l’architecture. »

Tina Barney, BOMB Magazine, 1995

Depuis le début des années 1980, Tina Barney utilise une chambre photographique de 20 × 25 cm sur trépied et privilégie pour ses images le format 120 × 150 cm : ces dimensions ont à ses yeux l’avantage de permettre au spectateur d’entrer dans l’image et de découvrir les nombreux détails qui s’y trouvent. Pour chacun de ses clichés, le grand format devient une manière de donner à voir, car il exacerbe la part descriptive inhérente à la photographie, qui inscrit sans sélectionner. Quant à ses premiers plans très rapprochés et donc souvent légèrement ou totalement flous, ils semblent reproduire la vision naturelle, et accentuent pour le spectateur la sensation d’être dans l’image.

Tina Barney
The Portrait, 1984
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Portrait
Le portrait
1984
Tirage chromogène

« Toutefois, dans plusieurs œuvres, Barney parvient à percer le voile romantique qui entoure son sujet et à signaler les injustices de classe qui sous-tendent le monde d’opulence qu’elle photographie ainsi que les stéréotypes publicitaires sur lesquels il repose. Par exemple, The Portrait (1984) montre une femme étendue sur un lit dans une chambre excessivement décorée. Elle joue avec une petite fille blonde vêtue d’une robe rose. Le charme sentimental de la scène est souligné par un portrait naïf de jeune fille accroché au mur, mais c’est la servante, placée sur le côté, qui constitue le point focal de l’image. »

Charles Hagen, « Tina Barney », Artforum, 1985

Tina Barney
The Christmas Gift
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Christmas Gift
Le cadeau de Noël
1987
Impression pigmentaire, 2024

« Les personnes qui peuplent les photos de Tina Barney semblent être les jumeaux maléfiques des modèles que l’on voit dans les publicités Ralph Lauren. Ces dernières vendent de l’exclusion parce qu’elles promeuvent le style WASP en soulignant qu’on ne peut le posséder que de naissance : ainsi éliminent-elles les éventuels consommateurs qui aspireraient à l’acquérir en achetant les vêtements de la marque. Ce que Ralph Lauren nous présente comme des scènes de plénitude apparaît chez Barney comme des scènes de zombitude. Sans être exactement sinistres, elles témoignent de la vacuité discrète du sujet WASP des classes supérieures. Barney utilise la fadeur pour la retourner contre elle-même. »

Rhona Lieberman, « Tina Barney », Artforum, 1991

Marina’s Room
La chambre de Marina
1987
Tirage chromogène

Marina and Peter
Marina et Peter
1997
Tirage chromogène

« Peter Tatistcheff était marchand d’art, et c’est lui qui m’a offert ma toute première exposition. Il avait une fille très belle, nommée Marina. Je […] crois que je les ai photographiés pour la première fois en 1987, et j’ai demandé si je pouvais venir dans leur appartement. C’est comme ça que cette première photographie s’est faite. Elle [Marina] était sur ce lit. C’était aussi la première fois que j’utilisais un éclairage indépendant. J’ai trouvé un assistant qui pouvait s’occuper de l’éclairage : il a mis une lumière dans ce placard, derrière eux, ce qui faisait une différence considérable. Elle portait cette robe et l’ensemble était parfait. Ensuite, je me suis dit, pourquoi ne pas y retourner pour les photographier à nouveau ? […] Il s’agissait juste d’avoir la chance d’y retourner, et cela s’apparentait beaucoup à une entreprise rephotographique, parce que la chambre n’avait pas changé. Marina, en revanche, avait énormément changé. »

Tina Barney, in « Tina Barney interviewed by Spencer Bailey », Time Sensitive, 2023

 

Tina Barney
The Reception, 1985
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Reception
La réception
1985
Tirage chromogène. Collection Greg Grimaldi and Nancy Hu.

« J’ai pris cette photo spontanément. Je n’ai pas eu le temps de penser à quoi que ce soit, à peine le temps de faire la mise au point. Je ne me souviens même plus si j’ai demandé à [ma sœur] Jill, qui porte la robe dorée, de se lever […]. Je n’avais pas vraiment d’intention. Tout d’abord, c’était une fête, et j’étais une invitée. Je n’avais pas d’assistant. Je déambulais avec mon appareil sur un trépied, le flash sur le dessus, en portant des boîtes de pellicules entre mes jambes ou je ne sais plus comment. Par contre, je me souviens d’avoir demandé à Andrea, la femme aux cheveux roux, de se tourner.
Et j’ai probablement dit à mon demi-frère Paul : “Regarde Jill.” Mais tout cela s’est passé en l’espace de quelques secondes. Le flash a figé ce regard sur le visage de Jill au moment où elle se levait. »

Tina Barney, in « Tina Barney’s best Photograph: Picasso at my sister Wedding party », entretien accordé à Dale Berning Sawa, The Guardian, 2018

Tina Barney
Graham Cracker Box, 1983
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Graham Cracker Box
La boîte de crackers Graham
1983
Impression pigmentaire, 2024

« Je me suis mise à diriger les personnes que je photographiais quand j’ai commencé à utiliser un appareil 4 × 5 pouces (10 × 12 cm) en 1981. Comme je n’utilisais pas du tout d’éclairage à cette époque, je leur demandais de rester immobiles. Je les dirigeais partiellement. C’est mon amie que l’on voit à l’arrière-plan, elle revenait du tennis. La plupart des éléments ont été laissés en l’état. J’ai dit à la fille de s’asseoir sur la chaise et de décrocher le téléphone. J’aimais le fait que cela s’harmonise avec de nombreux éléments de la pièce. J’avais un grand angle, et c’est pourquoi tout est étiré ou disproportionné. Je réfléchissais à la composition. J’aimais varier les échelles dans la pièce — c’est pour cette raison que la mère est debout. Je pensais beaucoup à la structure, mais, comme j’ai pris ces photos rapidement, le résultat est en grande partie dû au hasard. »

Tina Barney, in « The charming stories behind some of Tina Barney’s most iconic portraits », The Face, 2020

Tina Barney
The Children's Party, 1986
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Children’s Party
La fête des enfants
1987
Tirage chromogène

« Il y a très souvent dans mes images un espace ouvert dans un des coins inférieurs. C’est le cas dans Jill and Polly, dans Sunday New York Times, et même dans The Children’s Party. Comme si les choses tombaient du bas de la photo. Métaphoriquement, c’est peut-être ma façon de dire : “Ici, tout semble aller pour le mieux, mais faites attention car tout pourrait s’effondrer.” »

Tina Barney, « Interview », Friends and Relations, Washington, DC, Smithsonian, 1991

Rituels et traditions

« La démarche qui consiste pour une communauté à répéter des événements année après année, des rites qui deviennent tradition, semble avoir toujours été le principal centre d’intérêt de tout ce que je photographie. »

Tina Barney, The New Yorker, 2011

À ses débuts, Tina Barney coupait ou masquait parfois les têtes de ses modèles comme pour souligner que, par-delà les individus, c’étaient bien les types, les habitudes et les interactions sociales qui constituaient son sujet. Depuis, l’intérêt qu’elle porte à ces questions n’a cessé de nourrir son travail. Nombre de ses images évoquent des traditions et des rites perpétués de génération en génération. Cérémonies et réunions familiales y tiennent une place prépondérante. Elle aime capter les gestes, les attitudes corporelles, les habitudes vestimentaires qui trahissent l’appartenance à une communauté, les motifs traditionnels se mêlant à des traits plus contemporains.

Tina Barney
The Magician, 2002
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Magician
Le magicien
2002
Tirage gélatino-argentique, 2024

« Dans d’autres photos, la familiarité de Barney avec ses sujets transforme une image qui aurait pu tourner à la satire sociale en quelque chose de plus subtil et de plus révélateur. Puisque la plupart d’entre eux se trouvent dans leur intérieur, où fourmillent des indices de leurs goûts et de leur statut, nous avons tendance à en inférer immédiatement une lecture de classe : femmes lasses, hommes qui en imposent, enfants dotés d’une souveraine confiance en soi. Mais, parce que Barney ne livre jamais ce type de lecture, ses portraits possèdent une générosité et une grâce qui leur confèrent de la substance, même aux plus anecdotiques. »

Vince Aletti, « Show World », The Village Voice, 2002

Tina Barney
The Flag, 1977
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Flag
Le drapeau
1977
Tirage gélatino-argentique

« Dans une photo intitulée The Flag, on voit trois enfants descendre le drapeau américain. Ils portent des vêtements typiques de la côte est qui en disent long sur leur statut privilégié. Abaisser le drapeau chaque soir me paraissait un drôle de rituel […]. J’avais peur que l’on s’intéresse au fait que ces personnes appartiennent à la classe supérieure, et j’ai toujours pris soin de protéger cet environnement parce qu’à mes yeux, elles étaient bien plus que cela. Il en allait plutôt de la tradition et du rituel et, étant donné le lieu particulier où je vis,
de la capacité à conserver sa maison et, ainsi, de la possibilité de contempler l’histoire entière d’une famille. Cette histoire jouait un rôle précieux dans mon sentiment d’appartenance. »

Tina Barney, in « Tina Barney with Phong Bui », The Brooklyn Rail, 2018

Tina Barney
Musical Chairs, 1990
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Musical Chairs
Les chaises musicales
1990
Impression pigmentaire, 2004

« Se retrouver au même endroit, à la même époque et au même âge. C’est ce que je faisais quand j’étais enfant. Cela ne me dérange pas parce que c’est lié à une forme de protection, de peur que j’éprouve pour ces enfants. Ils vont devoir faire face à la compétition de la vie, et c’est vraiment ce que l’on voit là, un sentiment de protection et d’inquiétude. »

Tina Barney, in « Tina Barney by David Corey », BOMB Magazine, 1995

Tina Barney
The Suits, 1977
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Suits
Les costumes
1977
Tirage gélatino-argentique

« Au fond, je voulais réfléchir aux gestes, au fait que, sur la côte est, par opposition à la côte ouest, les gens se tiennent près les uns des autres, et que l’on peut deviner l’origine d’une personne à la manière dont elle se tient, à son maintien, à ses vêtements et à sa façon de les porter. C’est de cela que traite cette image, dans une large mesure. J’ai coupé la tête des sujets parce que je ne voulais pas faire un portrait. Je voulais que le regardeur se concentre sur les éléments qui m’avaient paru intéressants. »

Tina Barney, in Drew Sawyer, « Taking Direction: An Interview with Tina Barney », Pelican Bomb, 2016

Tina Barney
The Bridemaids in Pink, 1995
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Bridemaids in Pink
Les demoiselles d’honneur en rose
1995
Tirage chromogène

« J’ai pris cette photo au mariage de la fille de ma meilleure amie. Deux des filles sont mes nièces et la troisième est leur cousine. Il s’agit clairement d’une affaire de famille. Mon détail favori, c’est le gant de la brune, à droite. Son doigt tendu qui touche presque le bord du cadre et son gant de coton blanc amidonné étaient des raisons suffisantes pour tirer cette image. Les robes de satin rose à la Jackie Onassis et les bibis ont été choisis avec humour. Avant d’avoir l’idée de cette photo, j’ai assisté à la fabrication de ces chapeaux, avec de véritables roses, et, comme je savais l’intense travail qu’ils avaient nécessité, j’ai apprécié la scène encore plus. Je n’aurais pas pu planifier ni même rêver des intervalles aussi parfaitement chorégraphiés entre les membres de ce trio : les deux filles collées l’une à l’autre à la droite, et la troisième appuyée sur le bord gauche du cadre, comme si elle était la cheffe de la bande. »

Tina Barney, in « 17 Photographers Reflect on Key Images for Aperture’s Seventieth Anniversary », Aperture, 2022

Tina Barney
The American Flag, 1988
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The American Flag
Le drapeau américain
1988
Impression pigmentaire, 2024

« Si fortes que soient ces images sur le plan psychologique, elles sont aussi étonnamment formelles. À cette échelle, les détails deviennent des signes saillants. L’imprimé floral d’une robe ou d’un fauteuil, les mains pendant maladroitement d’un vieillard, un gin-tonic, tout cela ressort avec une force inhabituelle, pour accroître la tension visuelle. »

Roberta Smith, « Collages That Seek to Fuse Beauty and Feminism », The New York Times, 1989

Créer des espaces

« J’ai […] commencé à m’intéresser aux peintres italiens de la Renaissance et aux peintres hollandais du XVIIe siècle, parce que la surface plane sur laquelle sont imprimées les photographies me laissait insatisfaite ; j’essayais de créer l’espace, je lisais énormément de textes relatifs à la structure de l’art, à la création de l’espace. »

Tina Barney, New York Studio School, 2013

Même si ses images sont, dans leur grande majorité, animées par la présence de personnages, ce qui vaut à Tina Barney d’être qualifiée de portraitiste, la création d’un espace, au sens pictural du terme, demeure l’une de ses préoccupations majeures. Tina Barney est une photographe de l’intérieur. Longtemps, les paysages l’ont peu intéressée. Dans son œuvre, les jeux sur la perspective et la profondeur sont innombrables. La photographe travaille souvent ses espaces de manière à renforcer un effet d’intimité, de protection, parfois jusqu’à obtenir une sensation d’enfermement.

Tina Barney
Cotton Candy, 2002
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Cotton Candy
Barbe à papa
2002
Impression pigmentaire, 2024

« Je veux faire quelque chose qui soit totalement soustrait à la vraie vie. Je constate combien il est excitant de photographier des gens, quand il y a un scénario, un récit déjà formulé, qu’ils savent comment mouvoir leur corps et parler, qu’ils savent ce qu’ils vont faire, et que moi je n’ai pas à leur dire : “Fais ceci, fais cela.” Je veux faire quelque chose qui apparaisse surréel et étrange. »

Tina Barney, in Faye Hirsch, « An interview with Tina Barney », Art on Paper, 1999

Tina Barney
Ada's Interior, 1981
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Ada’s Interior
L’intérieur d’Ada
1981
Impression pigmentaire, 2024

« Je ne choisis pas ces personnes, elles sont ma vie. Ces décors sont ma vie. Ce qui me stimule, c’est la lumière, en premier lieu, puis les textures et les couleurs — ce qui intéressait Vuillard — et les motifs. Je crois que l’idée de faire des photographies de grande dimension avait trait à mon amour du détail, au sentiment que le moindre objet compte et a de l’importance. Le regardeur, lui aussi, pense probablement de cette façon : par exemple, il sera curieux de savoir si la personne sur la photographie porte une robe Laura Ashley. Cela fait partie de notre époque, dont ces images portent évidemment l’empreinte. »

Tina Barney, in Christopher Lyon, « A Talk with Tina Barney », MoMA, 1990

Moins de monde

« À la fin des années 1990, j’ai commencé à vouloir mettre moins de monde dans mes images, parce que j’avais conscience d’avoir usé jusqu’à la corde le genre du tableau chorégraphié. Mes œuvres se sont alors davantage rapprochées du portrait, et malgré les difficultés et les défis que cela implique, c’est, aujourd’hui encore, ce qui m’intéresse : une personne qui fait face à l’appareil photo et sait quoi faire avec lui. »

Tina Barney, The Brooklyn Rail, 2018

Le dispositif utilisé par Tina Barney — un appareil sur trépied et des lumières artificielles — s’apparente à celui d’un portraitiste de studio. Pour autant, l’artiste reste ouverte à la spontanéité attachée aux photographies instantanées. Et si elle a longtemps privilégié les scènes de groupe et les interactions sociales, elle s’est aussi essayée, à partir des années 1990, au portrait individuel. Une pratique plus posée, frontale, qui fit dire à quelques critiques qu’elle abandonnait une approche sociologique pour devenir pleinement portraitiste.

Tina Barney
Mom's Dinner Party, 1982
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Mom’s Dinner Party
Le dîner de maman
1982
Impression pigmentaire, 2024

« Il y a suffisamment d’éléments dans ces photographies pour nous convaincre que ce paradis apparent du privilège n’est pas sans nuages. L’univers de Barney est, curieusement, l’envers de celui de Nan Goldin. Bien que les deux photographes se concentrent sur des sous-cultures on ne peut plus disparates et qu’elles aient des styles extrêmement différents, leur œuvre saisit une sensation de malaise difficile à ignorer. »

Andy Grundberg, « Tina Barney: an afterword », in Tina Barney: Photographs. Theater of Manners, Zurich, Scalo, 1997

Tina Barney
The Hands, 2002
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Hands
Les mains
2002
Impression pigmentaire

« Je m’intéresse beaucoup à la physionomie, en partie parce que je me demande, à propos d’un père et d’un fils par exemple, quand le fils possède exactement les mêmes expressions faciales que son père : est-ce génétique, physique, mimétique ? Il n’y a aucun moyen d’en avoir la certitude. Je pense pour ma part que c’est mimétique, mais pourquoi les gens veulent‑ils ressembler à leur père, à leur sœur, à leur frère, ou adopter le même comportement ? Cela me fascine réellement. »

Tina Barney, in « Tina Barney with Phong Bui », The Brooklyn Rail, 2018

Tina Barney
The Ancestor, 2001
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Ancestor
L’ancêtre
2001
Tirage chromogène

« Comme vous le voyez dans la série “The Europeans”, les sujets ont une attitude si solennelle qu’il était absolument exclu que je leur dise quoi faire. Je me suis seulement rendu compte que leur manière de se tenir et de se présenter était infiniment plus intéressante si je les laissais faire ce qu’ils voulaient, si raides qu’ils soient. Leurs gestes et leur pose paraissaient imités des portraits dont ils étaient entourés dans leur demeure spectaculaire, leur maison ou leur château. »

Tina Barney, in « Tina Barney with Phong Bui », The Brooklyn Rail, 2018

Tina Barney
The Entrance Hall, 1996
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Entrance Hall
Le hall d’entrée
1996
Tirage chromogène

« Dans The Entrance Hall, la riche veuve à la mise impeccable, arborant des perles à la Barbara Bush, pose au centre d’une entrée d’un turquoise éclatant : elle sourit avec grâce mais barre résolument l’accès à la pièce. On ne saurait dire si elle se trouve chez elle (elle porte un sac à main), mais elle semble ici inexorablement dans son élément, parfaitement encadrée par les élégantes moulures aux murs. L’angle choisi par Barney semble déstabiliser cette autorité en faisant légèrement pencher l’ensemble de la scène vers la droite, tandis que la figure reste, elle, inébranlablement verticale, comme si ses appuis étaient assurés par sa lignée — sans parler d’une bourse florissante et d’un Dow Jones en pleine forme. »

Joan Seeman Robinson, « Tina Barney », Artforum, 1999

Histoires courtes

« Je me suis mise à diriger très progressivement, et je prends mes photos tout en dirigeant. Alors que je guide mes modèles, à coups de “Viens par ici” et de “Marche par là”, il se passe en même temps autre chose : ils se parlent les uns aux autres. La frontière est mince entre l’improvisation totale et la direction, ces deux dimensions sont imbriquées. »

Tina Barney, Ken Weingart Blog Podcast, 2015

À l’occasion de l’un de ses premiers entretiens en 1990, Tina Barney déclarait que, dans son travail, « les notions de vérité et de fiction sont sans cesse remises en question ». Elle ajoutait : « Je ne pense pas qu’il relève de l’une ou de l’autre. » En effet, au-delà de l’ancrage documentaire et testimonial de sa démarche, Tina Barney n’hésite pas à raconter et à mettre en scène. Sa rencontre en 1990 avec la troupe de théâtre expérimental The Wooster Group, établie à New York et dont elle a photographié les spectacles plusieurs années durant, a renforcé cette disposition.

À partir des années 2000, la photographe explore fréquemment l’esthétique de la mise en scène narrative dans ses travaux pour la presse, la mode et la publicité. C’est d’ailleurs sous le titre programmatique de Players — « joueurs » ou « acteurs », selon les deux acceptions du terme en anglais — qu’elle a publié ces images en 2010.

Tina Barney
The Young Men, 1991
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Young Men
Les jeunes hommes
1992
Tirage chromogène

« The Young Men est, en quelque sorte, un essai qui traite du rapport de la photographe à ses sujets. En l’espèce, ces derniers semblent rétifs à coopérer, mais Barney réussit merveilleusement à tirer parti de leur réticence. Trois jeunes hommes, portant tous le même type de veste de sport et de chino, sont alignés dans une pièce d’un blanc immaculé. Le premier, debout, tourne le dos à l’appareil et paraît fixer un point sur le mur ; le deuxième, assis, couvre son visage de la main ; tandis que le troisième, debout de profil, tire nerveusement sur son oreille. La composition semble parodier la démarche par laquelle un photographe amène le sujet à se détendre en présence de l’appareil, donc à apparaître “naturel”. »

John Ash, « Tina Barney », Artforum, 1993

Tina Barney
The Reunion, 1999
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

The Reunion
La réunion
1999
Tirage chromogène

« Dans nombre d’images, les tensions sont subtiles. Les personnes semblent parler mais les dialogues nous échappent. Il s’agit de la partie visuelle d’un drame dont le son est absent, comme un photogramme de film, mais le fait de savoir que les sujets sont réels intensifie la sensation. »

Phyllis Braff, « Photographic Tableaux: Tina Barneys Family Album », The New York Times, 1999

Tina Barney
Nude #1123, 1987
© Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Nude #1123
Nu #1123
1996
Tirage chromogène

« Au milieu des années 1990, j’ai photographié des nus en couleurs avec mon appareil 8 × 10 pouces (20 × 25 cm) parce que la New York Studio School m’a donné l’occasion d’utiliser ses modèles pour mon propre projet […]. J’ai décidé, une fois de plus, de tenter de construire un cadre doté d’un récit, mais ce qui m’a envoûtée, c’est l’excitation liée à la découverte d’une dimension supplémentaire : la texture et la lumière produites par la peau et la structure du corps sans la distraction du vêtement. J’ai aussi pris plaisir à travailler avec des sujets capables de rester longtemps immobiles. »

Tina Barney, « Introduction », Tina Barney, New York, Rizzoli, 2017